Parquet qui requiert la relaxe après avoir poursuivi

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Bonjour chers pénalistes,

Je ne suis pas un de vos pairs mais seulement un jeune étudiant dans la période de transition entre L1 et L2; cependant je m'intéresse de très près au monde du droit dans son ensemble, y compris au droit pénal malgré le fait que je n'ai pas reçu de cours dans cette matière.

Je sais qu'en France, l'opportunité des poursuites pénales appartient généralement au procureur de la République et plus généralement au parquet dans son ensemble (même si il existe la citation directe ou la constitution de partie civile auprès du doyen des juges d'instruction de la juridiction du ressort).

Je sais également que le parquet joue un rôle au moment du procès pénal, celui de représenter la société et donc de défendre l'intérêt général. Pour cela, il peut requérir une peine contre un prévenu qu'il estime coupable mais peut également demander sa relaxe !

Partant de ces deux constats, une question me vient à l'esprit, une question de cohérence:
Ne trouvez-vous pas illogique que le parquet cite un prévenu à comparaitre devant un tribunal correctionnel, c'est à dire le poursuive en justice en estimant l'infraction caractérisée, puis demande finalement à ce qu'il soit déclaré non-coupable le jour de l'audience?

J'ai essayé de raisonner afin de trouver une explication à cette situation:

Est-ce que cela s'explique par le fait que le magistrat du parquet qui a décidé de poursuivre le prévenu n'est pas nécessairement le même que celui qui prend les réquisitions à l'audience (le parquet étant indivisible) et qu'ainsi il peut exister une divergence d'avis sur l'affaire entre les deux magistrats?

Est-ce que cela peut s'expliquer par le fait que le débat contradictoire qui a forcément lieu dans un procès a fait changer d'avis le parquet entre le moment où il a décidé de poursuivre et le moment où il prononce ses réquisitions?

Est-ce que cela peut s'expliquer par la saisine d'un juge d'instruction qui décide de la tenue d'un procès, le parquet pouvant alors être en désaccord avec les conclusions de ce dernier (cf le procès de DSK/Carlton de Lille où le représentant du ministère public avait littéralement dézingué l'ordonnance des magistrats instructeurs)?

Merci d'avance pour les avis et précisions que vous pourrez émettre sur ce cas particulier de la justice pénale.

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MorganM Intervenant

Bonsoir,

Il est intéressant de se poser de telles questions à votre niveau d’étude.

Le parquet est indivisible et solidaire.

En revanche, vous avez bien raison quand vous évoquez le fait que le moment du procès révèle au grand jour des zones d’ombre et qui peuvent par conséquent avoir une influence sur le sort du prévenu.

Mais il peut effectivement s’agir d’un changement de positionnement du parquet en raison des débats qui ont eu lieu : au fur et à mesure de ceux-ci, on se rend compte que finalement, tel prévenu doit être relaxé de telle infraction...

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Merci beaucoup pour votre réponse.
Effectivement, j'imaginais les choses ainsi mais je trouvais cela toute de même étrange dans la mesure où quand le parquet poursuit, il est généralement persuadé de la culpabilité du prévenu. Si il a de sérieux doutes, autant ouvrir une information judiciaire et saisir un juge d'instruction plutôt que de renvoyer pour rien un prévenu en correctionnelle, non?


D'autre part, les zones d'ombre que vous évoquez peuvent exister il est vrai, mais comment expliquer par exemple la tenue du procès "Marine Le pen/prières de rue" où Marine Le Pen avait été poursuivie pour incitation à la haine raciale suite à ses propos comparant prières de rue et occupation nazie?

Dans ce cas précis, il n'y avait pas de vérité à faire émerger, tout le monde connaissait la phrase qui avait été prononcée. Pourtant, le parquet poursuivait et 6 mois plus tard,à l'audience, le procureur de la République lui-même s'adressait aux juges avec ces mots:"Ses propos relèvent de la liberté d'expression, vous ne pourrez pas la condamner!".

Finalement, cela montre que la loi et l'interprétation vont de paire, mais aussi qu'il y peut-être un manque d'égalité citoyenne vis-à-vis des décisions du ministère public.

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MorganM Intervenant

Il y a plusieurs explications possibles.

C'est suite à l'enquête des services de police et de gendarmerie que le parquet va généralement décider de renvoyer l'affaire en correctionnelle.

Il prend sa décision au visa des éléments à charge qui ont été mis en exergue par l'enquête, donc le parquet est très dépendant des dires et diligences des OPJ.

Mais les débats peuvent ensuite laisser transparaître une enquête mal diligentée, des nullités d'actes... Ils peuvent aussi mettre en évidence des éléments décisifs qui n'ont pas été révélés par les enquêteurs.

Et cela pour de multiples raisons, parmi lesquelles notamment la présence possible de l'avocat lors de la phase de jugement alors que son rôle reste limité durant l'enquête de police.

Donc l'apparition d'éléments nouveaux peut parfaitement faire changer d'avis le parquet.

Des exemples :

- l'avocat au procès soulève la nullité d'un procès-verbal de garde à vue au cours de laquelle des aveux ont été faits : si le parquet "admet" la nullité, il pourra éventuellement solliciter la relaxe si l'infraction qui était reprochée ne reposait que sur ces aveux (pour schématiser, car cela est rare en pratique, en revanche en cas de pluralité d'infractions reprochées certaines pourront être abandonnées par le parquet en raison de ces nullités).

Il ne faut pas oublier que le parquet est submergé par les dossiers. Ses décisions doivent être prises rapidement, au visa d'éléments dégagés par des policiers qui enquêtent à charge... En présence de violences volontaires en réunion, le parquet peut décider de renvoyer l'ensemble des personnes devant le tribunal pour être sûr que tout le monde soit jugé conformément à la loi : en d'autres termes, il peut ne pas être certain de la culpabilité de chacun et préférer que cela soit discuté à l'occasion d'un débat contradictoire devant le juge...

Effectivement, on peut penser que si le parquet renvoie un individu devant le tribunal correctionnel, c'est qu'il est persuadé de sa culpabilité.

En pratique, si cela est souvent vrai, il y a également de nombreuses fois où les choses sont différentes et que le parquet renvoie à partir du moment où il existe suffisamment d'éléments à charge contre la personne pour permettre qu'il soit jugé. Ce qui est sensiblement différent. On élargit le spectre des personnes renvoyées devant le tribunal puisqu'il n'est pas question d'être persuadé de la culpabilité du prévenu, mais juste d'avoir réuni suffisamment d'éléments à charge contre lui.

Cela ne signifie donc pas nécessairement que le parquet est certain de la culpabilité du prévenu mais au contraire, qu'il estime qu'il y a suffisamment de matière à débattre pour en discuter.

La saisine du juge d'instruction reste très rare en raison des contraintes de procédure, d'encombrement des juridictions... Et l'instruction ne permet pas nécessairement de lever tous les doutes (le juge d'instruction enquête avec les mêmes moyens que le parquet, à savoir les services de police/gendarmerie...) mais surtout une protection des droits (avocat, consultation du dossier du mis en examen...). Dans tous les cas, à la fin de l'instruction, la question demeurera la même : le parquet devra faire des réquisitions auprès du juge d'instruction, soit en faveur d'un renvoi, soit d'un non-lieu. Et s'il requiert le renvoi et que le juge d'instruction le suit, le parquet pourra toujours changer d'avis devant le tribunal et également solliciter la relaxe... Donc la saisine d'un juge d'instruction ne permet pas nécessairement de faire changer les choses.

En définitive, je dirai que les relaxes requises par le parquet demeurent peu courantes. Et lorsqu'elles surviennent, cela s'explique soit par le fait que les débats ont mis des choses en évidence et que l'enquête de police n'a pas révélé, soit par des failles de l'enquête (nullités...), soit effectivement parce qu'il y a un positionnement différent entre le procureur ayant renvoyé l'affaire et celui de l'audience de jugement.

L'inégalité du citoyen face aux décisions du ministère public est très relative à mon avis. A supposer que la relaxe dans l'affaire que vous citez ait été requise uniquement en considération de l'identité de la personne concernée (ce que je crois que vous suggérez, mais qui me paraît peu probable), les effets demeurent limités puisque c'est au juge qu'il revient de trancher. La décision de poursuivre devant un tribunal n'est pas une déclaration de culpabilité ni un "commencement" de culpabilité.

Dans l'affaire que vous citez, c'est peut être une erreur d'appréciation : au fur et à mesure de la procédure, on se rend compte que le dossier est vide et que l'infraction n'est pas constituée.

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MorganM Intervenant

Je vous en prie ! J’oubliais de préciser que la saisine d’un juste d’instruction peut aussi être évitée afin que le parquet conserve son monopole de direction de l’enquête judiciaire...

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Merci beaucoup Morgan, vos explications sont très claires, je viens d'apprendre une chose grâce à vous. bonne soirée