Méthode du cas pratique de droit international privé

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Article rédigé par Mathou.


Les cas pratiques de DIP présentent quelques particularités par rapport à  ceux de droit interne. Voici un schéma des étapes à  étudier.


{{1ère étape : identifier les éléments d'extranéité}} qui vont justifier l'application des règles du droit international privé.

Ici on peut relever les faits qui mentionnent des éléments comme des nationalités différentes, l'établissement dans un pays étranger, un mariage dans un Etat européen...



{{2ème étape : la compétence du juge saisi ?}} Important pour savoir s'il y a une exception d'incompétence, une compétence exclusive...

En commençant par situer la matière ( civil, commercial... ) et viser les textes qui s'y rattachent, on détermine si le litige est intégré à  la Communauté ou non :

- si {les critères d'application du droit communautaire sont remplis} ( au regard de la compétence d'attribution des textes européens, précisée dans les Conventions et Règlements ) : on précise que ces textes ont vocation à  s'appliquer au cas d'espèce -> Convention de Bruxelles ou Règlement 44-2001.

- si les critères ne sont pas remplis, par exemple le pays est hors UE ou n'est pas partie à  une convention : on applique {les règles de droit commun français concernant la compétence internationale} ( NCPC, jurisprudence )

Il s'agit de dire si le juge est compétent ou non, pas de donner directement la loi applicable.



{{3ème étape : la loi applicable.}} Deux cas :

- il existe {une règle de conflit de loi unilatérale / loi de police} propre au pays du juge saisi. Application de cette règle ( avec rappels de la doctrine et de la jurisprudence ).

- s'il n'y a pas de règle de conflit unilatérale, il faut utiliser {la méthode bilatérale} :

-> {qualification} de la méthode : par principe, qualification de lege fori des situations étrangères, mais par exception qualification lege causae lorsque l'institution n'existe pas dans le droit du pays du juge saisi.

-> classement dans une catégorie de {rattachement}

-> il peut y avoir conflit de rattachements et {renvois}

-> une fois que la catégorie de rattachement est fixée, {désignation de la loi applicable} suivant la localisation : ici peuvent intervenir des problèmes liés à  {l'office du juge} ( si les parties doivent invoquer la loi étrangère ou s'il peut l'invoquer d'office ), à  {la théorie de l'équivalence}, de la preuve du {contenu} de la loi étrangère...

-> {application de la loi désignée et conclusion}
SAUF : en cas de {fraude} ou {d'exception d'ordre public international}, la loi étrangère normalement compétente est évincée au profit d'une autre loi.



{{4ème étape : les effets du jugement}} ( réception dans l'ordre interne, application... )



{{Exemple}}

( L'exemple est tiré d'un examen blanc passé en M1 rédigé en peu de temps... ce qui explique certaines tournures de phrases rapides. Il est posté à  des fins d'illustration. Les faits étaient les suivants : une américaine et un français se sont mariés en Equateur à  cause de la forme de célébration religieuse qui leur plaisaient, mais n'ont pas averti les autorités consulaires. De retour en France le mari a eu une liaison avec une cambodgienne, laquelle a accouché d'une fille que le père n'a pas reconnue. L'épouse veut demander le divorce en apprenant la chose, mais le mari affirme qu'il n'y a pas eu mariage ; quant à  la mère, elle veut établir la filiation de l'enfant mais le juge français a rejeté sa demande par application de la loi française. )



Deux personnes de nationalités différentes ( américaine et française ) se sont unies en Equateur avant de s'établir sur le territoire français. Ces éléments présentant un caractère d'extranéité justifient l'application des règles de droit international privé pour régir diverses situations.

{{1 ) l'union en Equateur}}

Il s'agit d'étudier la qualification de l'union : concubinage ou mariage ? La décision Caraslanis de 1955 a posé comme principe la qualification lege fori, l'exception lege causae s'appliquant lorsque l'institution est inconnue du droit français. Ici, le caractère de l'union n'est pas précisé : en revanche, un document organisant la vie commune du couple a été remis aux " époux ". Cette finalité est semblable à  celle du mariage en France. L'union peut être qualifiée de mariage et être rattachée au statut personnel, régi en principe par la loi nationale ( article 3 al. 3 Cciv bilatéralisé ).

Ce mariage est-il valable au regard de la loi française ? Des conditions de fond doivent être respectées ( absence d'empêchement bilatéral absolu... ), soumises à  la loi personnelle de chacun des futurs époux par application distributives de leurs lois. Elles sont présumées remplies en l'espèce, à  défaut d'indications, y compris pour l'obligation de comparution du ressortissant fançais à  la cérémonie ( 146 Cciv ).

Les conditions de forme doivent en revanche être examinées au travers de la loi du lieu de célébration du mariage, en application de la règle " locus regit actum ". Un mariage célébré entre français à  l'étranger sera valide en la forme s'il respecte les conditions de célébration ( ici, célébration religieuse ) ; si l'un des époux est ressortissant français, une condition supplémentaire est exigée : la publication des bans ( article 63 et 170-1 Cciv ).

En l'espèce, les autorités consulaires n'ont pas été prévenues, les époux contrevenant aux prescriptions de la loi française. La sanction se traduit par le défaut d'inscription sur les registres de l'état civil français des mentions du mariage jusqu'à  l'audition des époux ( article 171-1 Cciv nouveau ). La nullité n'est encourrue qu'en cas de fraude à  la loi française, ce qui ne semble pas être le cas ici. Il est précisé qu'il y a eu inscription tardive sur les registres : cela n'invalide pas le mariage. Le divorce semble la seule issue pour dissoudre l'union.

{{2 ) le divorce}}

L'épouse, ressortissante américaine, souhaite divorcer devant les juridictions françaises : celles-ci ont-elles compétence en la matière ? Il s'agit de vérifier l'application du règlement n°2201-2003 du 27/11/2003 entré en vigueur au 1er/08/2004 relatif à  la compétence en matière matrimoniale, dont la champ d'application matériel s'étend au divorce. Il a ici vocation à  régir la compétence juridictionnelle du fait de son applicabilité directe en France.

Il précise en son article 3 des critères non hiérarchisés de compétence fondés sur la résidence des époux lorsqu'ele est habituelle - notion autonome du droit communautaire renvoyant à  l'établissement effectif, permanent et stable des époux, Ccass, civ 1, 14/12/2005. Les époux résidant et travaillant sur le territoire français, les juridictions françaises sont donc compétentes pour recevoir l'action en divorce. La loi applicable sera déterminée par la règle de conflit française de l'article 309 Cciv, faisant référence en cas de nationalités différentes des époux à  la loi de leur domicile commun... donc de la loi française.

{{3 ) l'établissement de la filiation}}

Une femme cambodgienne a accouché en France de l'enfant de Ludovic, alors marié à  une autre personne, et qui n'a jamais reconnu sa paternité. L'action en reconnaissance de la mère a été rejetée en application de la loi française.

( j'ai été vite ici, je n'ai pas eu le temps de préciser qu'il s'agissait d'éléments d'extranéité )

Le principe en matière de filiation est l'application de l'article 311-14 Cciv : la filiation est régie par la loi nationale de la mère au jour de la naissance. S'agissant de droits indisponibles ( ccass, civ 1, MMA, 1989 ) le juge français a l'obligation de mettre en oeuvre d'office la règle de conflit, ici désignant la loi cambogienne dont le contenu n'est pas précisé. Il y a en l'espèce violation des articles 3 et 311-14 Cciv.

La loi française pouvait-elle s'appliquer au titre de l'ordre public de proximité, l'enfant étant né en France et y résidant ? A défaut de précision sur la loi personnelle de la mère, il ne peut être répondu à  cette question ( Ccass, civ 1, 10/05/2006 ). En revanche, la loi d'application immédiate de l'article 31-15 Cciv pourrait ici trouver application, l'enfant et ses parents ayant leur résidence en France : la possession d'état d'enfant pourrait être invoquée, selon les circonstances.

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merci pour ces methodes

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merci c'est très claire !!

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le travail est bien fait mais si vous preniez un autre cas d'espèce se rattachant au cameroun je serai plus éclairé!merci

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Yn Membre VIP

le travail est bien fait mais si vous preniez un autre cas d'espèce se rattachant au cameroun je serai plus éclairé!merci
On se fiche de la loi applicable, Cameroun, Pays-Bas, Australie, ... peu importe seules les règles utilisées pour déterminer la loi applicable et le tribunal compétent ont un intérêt. A toi de regarder les règles camerounaises de DIP (dans les conventions, la loi, voire la jurisprudence).

Par contre, la méthode exposée est imprécise, voire inexacte. Il y a également des bourdes et des coquilles. Donc, pour simplifier, si on se limite à la loi applicable :

1/ Qualifier la situation

Cette opération répond à deux questions :

- Y a-t-il des éléments d'extranéité (d'internationalité) ? Ex. : parties de nationalité différente, un couple français marié résidant dans un autre pays, etc.

- Dans quelle catégorie du DIP insérer la situation ? Le DIP est divisé en plusieurs catégories, sans être exhaustif : le statut personnel, le mariage (trois sous-catégories : formation (conditions de fond / conditions de forme), effets, régimes matrimoniaux), le divorce, les contrats, la responsabilité, etc.

Pour déterminer dans quelle catégorie la situation de fait doit être "insérée", le juge qualifie lege fori (Cass., 1955, Caraslanis), c'est-à-dire que le juge français va utiliser la loi française pour déterminer dans quelle catégorie s'insère la situation. En général, il n'y a aucune difficulté, mais parfois des situations sont délicates (donations entre époux, fiançailles, pourparlers, etc.), cf. les arrêts de la Cour de cassation. Ex. : les pourparlers, en droit français, sont soumis à la responsabilité (art. 1382 C. civ.), donc ils relèvent de la catégorie "responsabilité extracontractuelle" en DIP.

2/ Identifier la règle de conflit de lois

Une fois la situation insérée dans une catégorie, il faut déterminer le texte applicable ; texte qui contient la règle de conflit de lois qui va désigner la loi compétente pour trancher la question.

Ici, c'est compliqué, par qu'il y a beaucoup de textes. Dans l'ordre, il faut toujours commencer par : 1/ les conventions internationales (La Haye & co) ; 2/ Les règlements européens (Rome 1, 2, 3, etc.) ; 3/ Le droit français (Code civil, souvent la jurisprudence).

Ex. : les pourparlers relèvent de la responsabilité extracontractuelle, le texte applicable est le règlement Rome 2, précisément l'article 12.

Attention, le juge est tenu d'appliquer les règles de conflit de lois en matière de droits disponibles, mais n'a qu'une faculté en matières de droits indisponibles (Cass., 1re, 1999, Mutuelle du Mans et Belaïd. On peut toutefois se demander si un tel système est encore d'actualité quand les règles de conflit sont fournies par un règlement européen, dont l'application devrait être systématique...).

3/ Appliquer la règle identifiée à la situation

Ici, rien de difficile, on regarde quelle loi sera désignée d'après l'art. 12 Rome 2.

Une fois la loi désignée, mettons qu'il s'agit d'une loi étrangère, le juge peut l'écarter et appliquer la loi française dans deux hypothèses :

- Si la loi étrangère donne compétence à la loi française (c'est le renvoi, mais aujourd'hui un domaine très limité)

- Si la loi étrangère va générer une solution que le juge français juge intolérable (ex. : autoriser la répudiation unilatérale), c'est l'exception d'ordre public.

Il y a d'autres situations (la fraude à la loi, etc.) mais les grandes lignes de la méthode du DIP sont là.

J'espère que c'est plus clair.

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« Je persiste et je signe ! »

Docteur en droit, Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne.

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Très brillante intervention, Merci !!