Le Code noir : tableaux synthétiques

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Tableaux synthétiques en corrélation avec mon cours d'histoire des institutions antillaises.

Mathilde

( dernière mise à  jour par Mathou le 22/07/2005 )



{{Le Code noir : tableaux synthétiques}}



{{La religion : catholique, apostolique et romaine}}

{- mission évangélisatrice de la colonisation}
« Louis, par la grà¢ce de Dieu roi de France et de Navarre : à  tous, présents et à  venir, salut. Comme nous devons également nos soins à  tous les peuples que la divine providence a mis sous notre obéissance, nous avons bien voulu faire examiner en notre présence les mémoires qui nous ont été envoyés par nos officiers de nos îles de la Amérique, par lesquels ayant été informés du besoin qu'ils ont de notre autorité et de notre justice pour y maintenir la discipline de l'Eglise catholique, apostolique et romaine, pour y régler ce qui concerne l'état et la qualité des esclaves dans nos dites îles, et désirant y pourvoir et leur faire connaître qu'encore qu'ils habitent des climats infiniment éloignés de notre séjour ordinaire, nous leur sommes toujours présents, non seulement par l'étendue de notre puissance, mais encore par la promptitude de notre application à  les secourir dans leurs nécessités »


- {exclusion des « ennemis déclarés du nom chrétien »} sous peine de confiscation de corps et de biens : juifs résidents dans les îles ( pourtant facteurs de développement pour Colbert ) ( article premier )


- obligation de {baptiser} tous les esclaves et de les instruire dans la religion catholique, apostolique et romaine, dès leur acquisition – ordres donnés par le gouverneur de l'île ( article 2 )


- {interdiction de toute autre exercice religieux} sous peine de punitions ( article 3 )


- impossibilité de devenir {commandeur} ( personne dirigeant le travail des esclaves pour le compte des propriétaires, elle-même souvent esclave ) à  moins de faire profession de la religion catholique ( article 4 )


- interdiction aux {protestants} de troubler l'exercice de la religion catholique de leurs esclaves ( article 5 )

- injonction d'observer {les jours de dimanche et de fêtes} et de ne pas travailler ces jours-là  : sous peine de punitions et amendes pour les maîtres, de confiscation des biens et des esclaves ( article 6 ) ; interdiction de tenir marchés des esclaves et des biens ( article 7 )




- sujets non catholiques déclarés {incapables de contracter mariage} : les enfants issus d'unions de sujets non catholiques sont déclarés bà¢tards car issus d'un concubinage ( article 8 )

- enterrement en terre sainte des esclaves baptisés ( cimetières spéciaux ) ; dans un champ, de nuit, s'ils ne le sont pas ( article 14 )



==> l'Eglise catholique constitue une force idéologique ( nécessité de l'évangélisation des Noirs du fait qu'ils étaient censés descendre de Cham, fils de Noë ayant dévoilé devant ses frères la nudité de leur père ). L'abbé Rigord, en 1845, note : « Que de milliers de ces malheureux ont trouvé dans la servitude la liberté des enfants de Dieu ».

Les esclaves sont censés assister obligatoirement aux offices religieux – en théorie, car la pratique révèle que seuls les baptêmes des enfants, les funérailles ou la première communion sont effectués. Les hommes asservis, et leurs maîtres avec eux, préfèrent souvent consacrer leur dimanche à  travailler pour gagner de quoi grossir leur pécule. Et dans certains cas, bien que pratiquants, les esclaves demeurent soumis au maître, dont le consentement est nécessaire en cas de mariage : puisque ce dernier ne peut vendre séparément les époux, il refuse les mariages, obligeant ainsi les esclaves au concubinage réprouvé par l'Eglise. Les représentants de Dieu semblent posséder peu de pouvoirs, en fait, pour mener leur mission à  bien, et se montrent plutôt conciliants avec les colons – d'autant qu'ils ne sont guère nombreux, certains se trouvant même mêlés à  des scandales ( fuite de l'abbé Cottineau de l'île de la Réunion afin d'étouffer un scandale au début du XIXème siècle ).

La relation entre l'Eglise et l'esclavage montre des contradictions, des ambiguïtés : protectrice dans certains cas des esclaves, elle n'en possède pas moins des habitations sucrières, donc… des esclaves. L'abbé Joffard (1850 ) accuse le clergé d'être « capitaliste », vendant, achetant, louant des esclaves comme n'importe quel colon.
C'est vers le XVIIIème siècle, le XIXème, que l'Eglise se divise, reconnaît des prêtres abolitionnistes ( l'abbé Prévost, l'abbé Raynal… ). Les jésuites ont joué également un grand rôle de médiateurs, d'instructeurs, et de protecteurs des esclaves.


==> les esclaves sont considérés comme des êtres humains à  part entière d'un point de vue religieux, partant, considérés comme des sujets du Roi… Mais ils sont tenus pour des objets d'un point de vue matériel : échangeables, susceptibles d'être vendus, saisis, donnés…



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{{Le mariage et la descendance des esclaves}}


- obligation d'être catholique pour se {marier} ( article 8 ) ; enfants déclarés bà¢tards sinon

- en cas {d'enfant} né d'une union entre :

--> un homme libre et une esclave : l'homme est condamné à  verser une amende de 2000 livres de sucre au maître subissant le préjudice de la naissance ; si le père est également le maître de l'esclave : confiscation de l'enfant qui restera esclave sans être jamais affranchi ( article 13 )

SAUF pour le père à  épouser son esclave dans les formes voulues par l'Eglise ( affranchissant l'esclave ) ( article 9 )

--> d'un mari esclave et d'une femme libre : les enfants sont libres ( article 13 )

--> enfant né de deux esclaves : devient lui aussi esclave et appartient au maître de la mère ( article 12 )

Modification du Code de 1724 : interdiction aux Blancs d'épouser des Noirs sous peine de punition et d'amende ( article 6 ), interdiction du concubinage sous peine d'amende


- consentement des père et mère inutile pour le mariage de l'esclave : seul compte celui du {maître} ( article 10 ) : interdiction aux curés de procéder aux mariages en l'absence de son consentement ( article 11 )

- défense de marier un esclave contre son gré par contrainte ( article 12 )

- ne peuvent être saisis et vendus séparément le mari de la femme et leurs enfants impubères ( article 47 )


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{{Armes}}

- défense aux esclaves de porter {des armes ou bà¢tons} à  moins d'y être habilités ( article 15 ) , sous peine de fouet et confiscation de l'arme

- {interdiction} des attroupements : punition corporelle, fouet, marquage de la fleur de Lys, voire mort si récidive ( article 16 ) ; arrestation par tout homme libre même non habilité et condamnation pécuniaire des maîtres autorisant ces réunions ( article 17 )

--> Il s'agit ici d'éviter les résistances, les soulèvements : la population noire représente plus de 80% des habitants. Les révoltes sont redoutées :
« Dans la nuit du 12 au 13, 30 nègres qui travaillaient au canal du Carbet se sont révoltés, se sont portés sur quelques habitations et ont eu la barbarie d'assassiner 7 blancs. (…) Ces scélérats ont eu recours à  la fuite, ils se sont donnés des colonels et leur mot d'ordre est liberté. (…) Ils devaient d'abord fondre sur Saint-Pierre, tout égorger et se répandre ensuite dans les campagnes » ( PR Dessalles, in Annales du Conseil souverain de la Martinique, 1776, cité dans Histoire de l'esclavage à  la Martinique, XVIIème-XIXème siècle, J. Amant-Joachin, E. Landi, G. Leti, 2000 )
Les esclaves en fuite sont appelés « marrons », ils sont activement recherchés par les maîtres et d'autres esclaves. Les chà¢timents sont sévères, inhumains… prévus par le Code.


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{{Commerce}}

- interdiction de {marchés} les jours fériés et dimanches ( articles 6 et 7 )

Modification du Code de 1724 : les maîtres pourront néanmoins envoyer leurs esclaves au marché ( article 5 )


- interdiction aux esclaves de vendre {des cannes à  sucre} ( article 18 ) : punition de l'esclave, mais aussi du maître et de l'acheteur

- interdiction aux esclaves de vendre {des denrées sans habilitation écrite} du maître ( article 19 ) ( deux personnes préposées à  l'examen des autorisations sur les marchés, article 20 ) : tout ce qui est trouvé en leur possession sans autorisation est confisquée ( armes ou denrées )

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{{Vie quotidienne : obligations du maître}}

- fourniture chaque semaine de deux pots et demi de farine de manioc ou trois cassaves de deux livres et demie chacune, deux livres de bÅ“uf salé ou trois livres de poisson ( au dessus de dix ans ; la moitié en dessous de dix ans ) ( article 22 )

- interdiction de leur fournir de l'eau de vie à  la place ( article 23 ) ou de se décharger de cette obligation de nourriture en leur accordant un jour dans la semaine à  leur compte ( article 24 )

- obligation de fournir chaque année deux habits de toile ou quatre aulnes de toile ( article 25 )

- obligation d'entretenir les esclaves infirmes ( article 27 )

- ces obligations sont punies de sanctions par une action de l'esclave auprès du procureur général, sans frais ( article 26 ) : action valable également en cas de « crimes et traitements barbares et inhumains des maîtres envers leurs esclaves »

- si l'esclave a été condamné, le maître peut préférer le céder à  celui qui a subi le préjudice plutôt que de réparer ce dernier ( article 37 )

- obligation des possesseurs d'esclaves qui travaillent de les gouverner comme « bons pères de famille » ( article 54 ) sans qu'ils soient tenus, après leur administration, de rendre le prix des esclaves décédés, diminués sans leur faute, et sans « retenir comme fruits à  leurs profits les enfants nés des esclaves pendant leur administration »

- les maîtres peuvent affranchir les esclaves à  partir de 20 ans ( article 55 ) par tous actes

Modification du Code de 1724 : à  partir de 25 ans, après permission par arrêt du Conseil supérieur


==> Il s'agit plus pour le Code noir de réglementer la vie dans les colonies que d'instituer un statut de l'esclave : en obligeant le maître à  lui fournir un minimum de vivres et d'habits, il prévient ainsi les vols, les trafics, le vagabondage ; en interdisant la possession d'armes pour les esclaves, il tente d'empêcher les soulèvements. C'est d'un point de vue économique, rentable, que les colonies sont considérées : le royaume de France tire profit de ses productions, assurer la tranquillité des relations entre maîtres et esclaves est donc un moyen de continuer à  les percevoir


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{{Propriété des esclaves}}


- les esclaves ne possèdent rien en propre : toute acquisition, par industrie ou libéralité, est la propriété pleine et entière du maître ( article 28 ) MAIS possibilité d'un pécule ( article 29 )

- les esclaves ne peuvent tester ou établir des libéralités ( dispositions nulles car ils sont considérés comme incapables de contracter )


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{{Capacités et qualités des esclaves}}

- l'esclave est déclaré meuble et entre dans la communauté : il n'a « point de suite par hypothèque, se partage également entre les cohéritiers sans préciput ni droit d'aînesse, n'est pas sujet au douaire coutumier, au retrait féodal et lignager, aux droits féodaux et seigneuriaux, aux formalités des décrets, ni aux retranchements des quatre quints, en cas de disposition à  cause de mort ou testamentaire » ( article 44 )
- mais ils peuvent être stipulés propres à  une personne « ainsi qu'il se pratique pour les sommes de deniers et autres choses mobiliaires » ( article 45 )

- l'esclave peut être saisi, selon les coutumes de saisie des choses mobilaires ( article 46, 48, 49 )

nota : il s'agit ici de l'orthographe trouvée dans le Code, " mobiliaires " et non " mobilières "


- l'esclave est incapable de contracter ou de tester
- l'esclave légataire universel de son maître est considéré comme affranchi ( article 56 )

Modification du Code de 1724 : les affranchis sont incapables de recevoir de la part des Blancs des donations entre vifs, à  cause de mort ou autrement


- l'esclave affranchi doit le respect à  son ancien maître et sa famille ( article 57 ) sous peine d'être plus sévèrement puni en cas d'injures ; une fois affranchi, il bénéficie des mêmes droits, privilèges et immunités que les personnes nées libres ( article 59 ) : « voulons que le mérite d'une liberté acquise produise en eux, tant pour leur personne que pour leurs biens, les mêmes effets que le bonheur de la liberté naturelle cause à  nos autres sujets »

- il ne peut exercer de fonction publique, de fonction arbitrale, être expert ou témoin ( leur témoignage ne sert qu'à  éclaircir le juge ) ( article 30 )

Modification du Code de 1724 : l'esclave ne peut témoigner pour ou contre son maître

- il ne peut agir en justice, sauf pour le maître à  agir pour lui en cas d'outrages ou excès commis sur leurs esclaves ( article 31 ) ; si l'on agit contre lui en matière criminelle, l'esclave est jugé par les juges ordinaires ( première instance ) puis le Conseil souverain ( en appel ) selon les mêmes formalités que les personnes libres ( article 32 )

Modification du Code de 1724 : pour les oreilles coupées, les fleurs de lys, le fouet, les esclaves sont jugés en premier et dernier ressort par les juges ordinaires, la confirmation des condamnations à  mort et les amputations étant réservées à  la compétence du Conseil supérieur

- s'il est condamné à  mort, il « sera estimé avant l'exécution par deux principaux habitants de l'île nommés d'office par le juge » ( article 40 )


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{{Punitions}}


- l'esclave est puni de mort s'il a frappé son maître, sa maîtresse, leurs conjoints ou enfants ( article 33 ) ou lorsqu'il a commis des excès ou voies de fait contre des hommes libres ( article 34 ), lorsqu'il a commis un vol ( article 35 ; en cas de vol de bêtes ou de cannes, coups de verges et fleur de lys, article 36 )

- en cas de fuite pendant un mois : oreilles coupées et fleur de lys ; si récidive : jarret coupé et autre fleur de lys ; la troisième fois, peine de mort ( article 38 ) ( punition des affranchis hébergeant des fugitifs, article 39 )

- interdiction de torturer ou mutiler les esclaves à  peine de confiscation : chaînes et coups de cordes ( articles 42 )

- en cas de meurtre d'un esclave, les officiers poursuivent le maître ou le commandeurs responsable ( article 43 )



==> Le Code noir est en fait peut appliqué par les propriétaires, qui sont souvent hostiles à  ses dispositions, et qui estiment que l'Etat n'a pas à  intervenir sur leurs domaines. C'est l'une des raisons qui conduit le Roi à  le compléter en 1724 par des rajouts plus sévères, notamment en matière de mariage et en matière économique. Les obligations alimentaires du maître ont-elles changé en quarante ans ? Le Code ne les modifie pas. Autre régression, par rapport au Code précédent : les affranchis ne disposent plus des mêmes droits que les hommes « libres », ils leur restent inférieurs et sont susceptibles, s'ils sont convaincus d'avoir hébergé un esclave en fuite, d'être asservis à  leur tour.




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On peut trouver le Code noir aux éditions L'Esprit frappeur, 57 pages, introduction et petit commentaire pour environ trois euros.