Commentaire d'arrêt "les verts contre Parlement"

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Bonjour,

Les vacances se terminent, pour reprendre un peu le rythme de la fac je vous propose un de mes commentaires, écrit lors de la dernière année universitaire, en pleine campagne sur la Constitution Européenne.

L’arrêt commenté (« les Verts contre parlement » 23 avril 1986 rec. p.1339) est d’ailleurs souvent ressorti au cours des débats, car il reconnaissait pour la première fois l’existence d’une « charte constitutionnelle ». Cependant là n’est pas son point le plus difficile, bien au contraire.

Ayant fait parti des étudiants s’étant arraché les cheveux sur les conditions de recevabilité du recours en annulation au niveau Européen, je me suis dit qu’il serait gentil de réduire les problèmes de calvitie des apprentis juristes en vous faisant partager le fruit de mon humble travail.

Bonne lecture !

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Lorsqu'un acte est pris par une institution communautaire et a des effets juridiques à l'égard des tiers, il peut se révéler contraire à des normes qui lui sont supérieures, comme par exemple une disposition d'un traité constitutif. Cet acte s'expose alors à un recours en annulation calquée sur le recours pour excès de pouvoir connu en droit français.
Cet arrêt « les Verts contre parlement » du 23 avril 1986 a pour principal apport de préciser les conditions de recevabilité de ce recours.
En l'espèce, le budget des communautés européennes contenait des dispositions relatives au parlement européen, en accordant des crédits destinés au financement de l'information des partis. Ces crédits ont été répartis entre les différentes formations politiques par le bureau du parlement, et le bureau élargi a adopté, l'année suivante, les règles concernant leur utilisation.
Cependant la répartition favorisait les formations politiques les plus importantes, et plus particulièrement celles présentes lors de l’élection précédente. Le parti écologiste « les Verts » intente donc un recours en annulation contre les décisions du bureau et du bureau élargi.
La Cour va annuler les décisions sur le fondement de la violation de l'article 7 § 2 de l'acte portant élection des représentants à l'assemblée au suffrage universel direct du 20 septembre 1976, en effet, le remboursement des frais de campagne électorale et la détermination de ses modalités appartiennent à la compétence des états membres selon ce texte.
Cet arrêt ne pose aucun problème sur ce point, par contre au regard des solutions antérieures, la recevabilité du recours ne semblait pas évidente. Cette recevabilité est subordonnée à plusieurs conditions. Tout d'abord une condition de délai, qui ne prête à aucune confusion, le délai de recours est de deux mois à compter de la publication ou de la notification de l'acte.
Les autres conditions concernent l'acte attaqué lui-même, il doit avoir un effet obligatoire et être adopté par une institution désignée par les traités. Cependant le parlement ne fait pas partie de ses institutions au terme de l'article 173 CEE. Les Verts considèrent que limiter ce recours aux actes des institutions visées à l'article 173, c'est-à-dire la commission et le conseil, entraînerait un déni de justice.
La dernière condition qui doit être remplie pour la recevabilité du recours en annulation est la qualité du requérant. Cela peut être un requérant institutionnel, qui peut agir de plein droit, ou un particulier qui doit justifier d'un intérêt à agir et qui doit être directement et individuellement concerné. Dans l'attendu 29, l'association requérante précise qu'elle dispose de la personnalité juridique et qu'elle est directement et individuellement concernée car les décisions attaquées octroient une aide aux partis politiques rivaux. Dans l'attendu suivant, le parlement réfute la recevabilité de cet accord en se fondant sur les jurisprudences antérieures.
Deux problèmes résultent de ses argumentations, tout d'abord l’acte pris par le parlement est-il attaquable bien que l'article 173 ne vise pas expressément cette institution ?
Dans l'affirmative, le parti écologiste est-il recevable à agir ?
En l'espèce la cour s'est considérée compétente pour connaître de ce litige, mais sur quel fondement se base la cour pour élargir l'application de l'article 173 (I), et comment le parti écologiste a pu satisfaire aux conditions posant la qualité pour agir (II) ?


I) l'élargissement de l'article 173 aux actes du parlement


L’article 173 ne vise que le conseiller la commission en tant qu'entité pouvant édicter des normes susceptibles d'un recours en annulation, le juge a originellement interprété ces dispositions de manière restrictive (A) cependant la cour, consciente des implications néfastes qu'entraînaient une telle interprétation, a fait évoluer sa jurisprudence (B).


A) d'une rédaction restrictive à une interprétation restrictive

Comme nous l'avons déjà précisé, l'article 173 du traité de Rome ne vise expressément que le conseil et la commission. La raison de cette limitation doit être cherchée dans le fait que le parlement n'avait, en 1957, pas la possibilité d'adopter des actes destinés à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers. C'est donc pour cette raison que le parlement aurait été écarté de ce texte.
Cependant, l'article 177 du même traité vise les actes des institutions sans précisions supplémentaires, il est dès lors légitime de se demander si l'énumération procédée par l'article 173 n'est pas le fruit de la volonté consciente des rédacteurs du traité d'écarter le parlement. En effet pourquoi ne pas avoir choisi la même formulation générale dans l’article 173 que dans l’article 177 ?
Fort de cette constatation, la cour de justice des communautés européennes (CJCE) à tout d'abord déclarer irrecevable tout recours dirigé contre une institution autre que le conseil où la commission. (CJCE 3 février 1977 « De Lacroix contre parlement » aff.91/76 rec. page 225).
La cour semble avoir conservé cette ligne directrice jusqu'à l'arrêt que nous commentons. Bien qu’elle est déclarée recevable un recours introduit contre une délibération du parlement fondé sur l'article 38 du traité CECA, elle continua à affirmer que l'article 173 CEE n'avait pas prévu sa compétence pour le contrôle du parlement européen. (CJCE 10 février 1983, « Luxembourg contre parlement » aff.230/81, Rec. P.255) et a donc conservée une interprétation restrictive de cet article, du fait du principe d’indépendance des traités.


Cependant force est de constater que si l'article 173 CEE ne vise pas expressément le parlement, ce dernier n'est pas non plus expressément écarté. Étudions donc maintenant les raisons qui ont poussé la CJCE à considérer que les actes du parlement étaient finalement concernés par le recours en annulation.


B) D’une interprétation restrictive de l'article 173 à son interprétation constructive


Dans un premier temps, la CJCE commence par assimiler les organes du parlement européen au parlement lui-même dans son 20e attendu. Ensuite elle réaffirme que si le parlement est écarté de l'article 173, c'est pour la seule raison que lors de la conclusion du traité de Rome, il n’avait que des pouvoirs consultatifs et de contrôle politique. Elle affirme que le « système du traité » est d'ouvrir un recours direct contre toutes les dispositions prises par les institutions et visant à produire un effet juridique. Pour justifier cela la cour ne se base pas sur un fondement textuel, en effet pour écarter les limitations imposées par l'article 173, la cour affirme que « la communauté économique européenne est une communauté de droit en ce que ni ses états membres ni ses institutions n'échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité. »
En plus de constater pour la première fois l'existence d'une charte constitutionnelle, cela permet ainsi à la cour d'exercer un contrôle généralisé basée notamment sur « l’esprit du traité » qu’elle dégage par exemple de l’article 177 (Attendu 23). Ainsi la cour dépasse les termes de l'article 173 en se livrant à une interprétation téléologique de cet article.
Cette absence de texte, nous laisse penser que la cour de justice reconnaît ici un principe général du droit communautaire de contrôle de légalité fondée sur la notion de communauté de droit.


La cour a ensuite reconnue le recours contre les actes du parlement par les autres institutions (CJCE 3 juillet 1986 « conseil contre parlement ») et par les états membres (CJCE « France contre parlement » 22 septembre 1988).
Cette évolution a été concrétisée par l’article 230CE, qui consacre « le contrôle de légalité des actes du parlement européen destiné à produire des effets juridiques à l’égard des tiers ».
Ainsi si la recevabilité de recours en annulation contre les actes du parlement ne pose plus de problèmes, il nous reste à examiner la réunion des conditions relatives au requérant.


II) les conditions de recevabilité du recours en annulation liées à l'auteur de la demande


Comme nous l'avons déjà détaillé, le requérant peut-être institutionnel (états membres, conseil et commission), il dispose alors d'un recours de plein droit, ou un particulier, qui doit justifier d'un intérêt à agir contre un acte qui le concerne directement et individuellement.
Telle était l'hypothèse de départ, mais un troisième groupe de requérant est apparu, la décision commentée aurait dû mener à la reconnaissance de ce troisième groupe, qui s'imposait comme une conséquence de l'interprétation extensive de l’article 173 alinéa 1. (A) Cependant cette reconnaissance n'est que postérieure, et la cour a préféré assouplir sa jurisprudence plutôt que de reconnaître l'existence de ce troisième groupe en l'espèce (B)


A) les conséquences théoriques de l'interprétation extensive de l'article 173 alinéa un


Le parlement et la banque centrale européenne dispose d'un régime particulier « à mi-chemin entre le requérant institutionnel et le simple particulier » car ces deux institutions peuvent agir dans le but de sauvegarder leurs prérogatives sans être concernées directement et individuellement. Ainsi la catégorie dégagée permet de s'affranchir des conditions imposant d'être concerné directement et individuellement, mais en limitant le recours à un domaine plus étroit que pour les requérants institutionnels. Cette catégorie de requérant découle de l'argumentation du parlement dans cet arrêt, mais elle n'a été reconnue que depuis 1990 (CJCE 22 mai 1990 « parlement contre conseil »). En effet bien qu'il découle une « légitimation passive » quant à la recevabilité du recours en annulation que nous avons vu précédemment (article 173 alinéa 1), la cour de justice n'a pas reconnu l'existence d'une catégorie de requérant « hybride ». Pour preuve, elle n'a pas reconnu ultérieurement de compétence active au parlement afin d'exercer le recours en annulation. Ainsi la cour a rejeté le recours en annulation contre la décision du conseil relatif à la comitologie en 1988 (CJCE 27 septembre 1988 « parlement contre conseil » aff. 302/87, Rec. p.5615). Ce qui semble contredire le principe de communauté de droit affirmé avec force dans le cadre de la recevabilité du recours contre les actes du parlement, et qui a fondé l'élargissement du recours en annulation aux actes du parlement.
Ce fait nous éclaire sur l'attendu numéro 30 de l'arrêt commenté. En effet le parlement recommande, en accord avec le requérant, d'élargir l'application de l'article 173 alinéa 1 dans l'attendu 22 de l’arrêt, ce qui peut paraître étonnant car le parlement reconnaît ainsi à la cour de justice la possibilité d'annuler ses décisions. Bien que l’on puisse affirmer qu’il s’agisse d’une volonté du Parlement de faire progresser l’idée d’une « Communauté de Droit », on peut légitimement douter d’une conclusion du défenseur qui non seulement permet d’annuler l’acte qu’il défend, mais en plus expose l’institution Parlementaire au développement d’un important contentieux. On peut donc se demander pourquoi le parlement reconnaît aussi facilement la possibilité d’exercer un recours contre ses actes.
Un début de réponse est apporté dans le 30e attendu où le parlement demande que soit reconnu un statut particulier au parti politique, à mi-chemin entre les requérants privilégiés et les simples particuliers et ce grâce à une interprétation extensive de l'alinéa 2 de l’article 173. Or le parlement n'a à ce moment-là pas la possibilité d'exercer le recours en annulation contre une autre institution communautaire. On peut donc se demander si le parlement européen n'a pas suggéré à la cour d'avoir une interprétation extensive de l’article 173 alinéa premier, dans le seul but de permettre corrélativement une interprétation tout aussi extensive de l'alinéa 2, afin d'acquérir le droit d'exercer un recours en annulation en arguant que lui aussi est un requérant « hybride » entre particulier et requérant privilégiés.


Cependant, la cour semble faire fi de la proposition d'interprétation extensive de l'article 173 alinéa 2, car elle contrôle que les Verts ont bien intérêt à agir et qu'ils sont concernés directement et individuellement. Ce qui explique que le recours en annulation exercé par le parlement ne fut reconnu qu’en 1990. Ainsi ce parti politique semble être considéré comme un simple particulier, mais la cour assouplie sa jurisprudence pour des raisons purement pragmatiques. Nous allons donc maintenant étudier en quoi la Cour ne reconnaît pas l’existence d’une troisième catégorie de requérant, mais se contente d’assouplir sa jurisprudence.


B) l'assouplissement des conditions de recevabilité du requérant


L’intérêt à agir ne semble faire aucun doute pour les « Verts » en l’espèce, favoriser financièrement certains partis au détriment d’autres constitue une inégalité, et les « Verts » sont victimes de cette inégalité. Ce parti a donc bien un intérêt à agir. Ceci ne le différencie donc pas d’un simple particulier, seuls les requérants institutionnels n'ayant pas besoin de justifier d'un intérêt à agir. Nous pouvons ensuite constater que la cour vérifie que les verts sont directement et individuellement visés par l'acte, ce qui ne différencie en rien le statut de ce parti par rapport à un simple particulier. S'il avait été un requérant appartenant la nouvelle catégorie proposée par le parlement, la cour n'aurait pas contrôlée le caractère direct et individuel de l’acte.
Cependant le parlement affirme qu'en l'état actuel de la jurisprudence, le recours en annulation aurait dû être rejeté. Il nous faut donc confronter la jurisprudence antérieure à la position de la cour en l'espèce, afin de vérifier cette affirmation du parlement.
Quant au caractère direct de l'acte, la jurisprudence antérieure ne semble pas trop bouleversée. En effet, dans l’attendu 31, la cour relève que les actes attaqués constituent une réglementation complète qui se suffit à elle-même et qui n'a plus aucune disposition d'application. Implicitement, on peut déduire que les actes sont suffisamment clairs et précis, ce n'est pas un recours en interprétation. On retrouve donc les conditions classiques de l'effet direct qui sont la clarté, la précision et l'inconditionnalité.
Pour le caractère individuel par contre, il faut se référer à la jurisprudence « Plauman contre commission » (CJCE 15 juillet 1963 affaire 25/62 Rec. P. 199). Cet arrêt pose la définition suivante de l'exigence selon laquelle le particulier doit être concerné individuellement:
Les sujets autres que les destinataires d'une décision ne sauraient prétendre être concernés individuellement que s'ils sont atteints en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de ce qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualises de manière analogue à celle du destinataire.
En l'espèce la cour admet que seules les formations qui étaient représentées et qui était identifiable à la date de l'adoption de l'acte attaqué sont individuellement concernés, or ce parti, « les Verts », n'était pas constitué à ce moment. Le recours devrait donc être irrecevable. Paradoxalement c'est justement de ce moyen d'irrecevabilité que la cour admet la recevabilité du recours en annulation. En effet elle estime qu'une telle interprétation aboutirait à créer une inégalité de protection juridictionnelle entre les formations concurrentes lors de la même élection. Pour éviter de créer une telle inégalité, la cour préfère assouplir sa jurisprudence antérieure. Ce n'est pas un revirement, mais une simple extension de la recevabilité du recours, fondé sur une considération pragmatique : éviter de créer une inégalité.