Arrêt Société des granits porphyroïdes des Vosges

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Prudomal Redacteur

Quand j'étais jeune, on passait son temps à la BU. Aujourd'hui, un coup de Google et on trouve dans la seconde quelle fut la procédure engagée par le demandeur (inconnue, dit le GAJA) :

Tout est ici :
https://blogavocat.fr/space/scp-gros-deharbe-hicter/content/l-erreur-de-leon-blum--_263475b2-53c4-480e-a42e-b7b198c2402e

(tiens, c'est marrant, le texte est signé Manuel Gros) 3.gif

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Nous sommes tous des Agnès Blanco

Publié par
Camille Intervenant
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Prudomal Redacteur

Nenni, l'arrêt ne précise pas quelle fut la procédure. Mais les archives de Léon Blum nous l'apprennent :

"La Société des granits porphyroïdes des Vosges contestant la légalité de cet arrêté par la voie du recours pour excès de pouvoir" (...)

Cela dit, il se trouve que j'ai dîné hier soir chez mon ami Xavier P., énarque, écrivain, ancien Directeur de l'Imprimerie Nationale, initiateur du site https://legimobile.fr/ et passionné de Droit.

Quand je lui ai annoncé que j'avais repris mes études, il m'a confié avoir eu à Sciences Po un professeur de DA passionnant, qui ne cessait de répéter : "Cherchez les opinions dissidentes" et ajouta : "regarde l'arrêt Société des granits porphyroïdes des Vosges, le Père Blum y est allé un peu fort".

Amusant, vu que j'avais posté le message ci-dessus le matin même.

Je me suis donc "amusé" à relire l'opinion dissidente du Professeur Gros, et y ai trouvé avec délectation matière à émettre une opinion dissidente sur son opinion dissidente.

Je m'explique :

Les points 1 et 2 du CDC sont objectivement la marque d'un marché de travaux.

Les points 3 et 4 le sont beaucoup moins, c'est ce qu'a retenu le CE : "Considérant que le marché passé entre la ville et la société, était exclusif de tous travaux". C'est cette erreur inique qui a été relevée par le Professeur Gros.

Maintenant, imaginons que le maître d'ouvrage (MO) n'ait pas été satisfait de la prestation du fournisseur (outre le retard apporté à la dernière livraison) et qu'il ait décidé in petto de dénoncer le contrat en sa phase de repavage, en vertu de la toute puissance de l'Administration pour modifier unilatéralement un contrat. Dans ce cas, si l'on considère que le MO aurait éventuellement choisi de confier le repavage à un autre fournisseur, l'argumentation du Professeur Gros tombe à l'eau.

Qu'en pensez-vous ?

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Fax Membre VIP

Bonjour,

Je rejoins Camille l'abstract publié sur légifrance nous renseigne bien sur la procédure devant le Conseil d'Etat :

Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés pour la société des Granits porphyroïdes des Vosges dont le siège social est ..., représentée par ses directeur et administrateurs en exercice, ladite requête et ledit mémoire enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat les 22 janvier et 11 mars 1908 et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler une décision du 20 novembre 1907 et en tant que de besoin une décision précédente du 1er juin de la même année, par lesquelles le maire de la ville de Lille a appliqué à la société exposante les pénalités prévues, en cas de retard dans les livraisons, au marché passé entre la société et la ville de Lille pour la fourniture de pavés ; Vu la loi du 5 avril 1884 ;
Considérant que la réclamation de la Société des granits porphyroïdes des Vosges tend à obtenir le paiement d'une somme de 3.436 francs 20, qui a été retenue à titre de pénalité par la ville de Lille, sur le montant du prix d'une fourniture de pavés, en raison de retards dans les livraisons ;


Il est bien précisé que la demande tend à l'annulation des décisions par lesquelles l'administration cocontractante a appliqué une pénalité financière à la société (décision en cause un paiement moindre) et au reversement des sommes invoquées par elle. Jusque là rien de nouveau, une pénalité est prise par décision unilatérale susceptible d'un recours en excès de pouvoir (sauf dans le cas où le contrat en cause n'est pas de nature administrative, dans ce cas, le contrat relève du juge judiciaire, ce à quoi va conclure le Conseil d'Etat).

Ensuite, je ne comprends pas bien où vous voulez en venir :

en effet, il a été découvert à la lecture du cahier de charges du contrat, déterré à l'occasion du bicentenaire de l'arrêt, qu'en réalité et contrairement aux conclusion du CGV Blum, le contrat portait non seulement sur la fourniture de pavés mais aussi sur l'exécution des travaux. En effet, c'était d'importance à l'époque dans la mesure où il existait une qualification législative de contrat administratif pour les contrats de travaux (la loi du 28 pluviôse An VIII ) mais pas pour les marchés de fournitures. Donc, (et parce que pour déterminer la nature d'un contrat administratif, le juge regarde en premier lieu s'il existe une qualification législative, puis dans la négative, si le contrat répond aux critère jurisprudentiels du contrat administratif) l'argumentation du professeur Gros consiste à dire que le CGV aurait du conclure à l'existence d'un marché de fourniture et de travaux et appliquer la qualification législative de contrat administratif. Ensuite, dans son article, le professeur Gros émet des hypothèses sur les raisons qui ont poussé la formation collégiale à suivre les conclusions de son commissaire du gouvernement.

Donc je ne vois pas trop en quoi ce que dit l'argumentation du professeur Gros pourrait tomber à l'eau : la possibilité de résilier unilatéralement le contrat et de le confier à un autre prestataire est une prérogative reconnue à l'administration dans le cas d'un contrat administratif. Donc, en toute hypothèse, la détermination de la nature du contrat vient avant cela. Autrement dit si je suis votre argumentation,si le Conseil d'Etat avait été saisi d'un telle décision confiant unilatéralement le marché à une autre prestataire, il aurait procéder de la même manière, à savoir examiner d'abord la nature du contrat, pour conclure ou non à sa compétence. La compétence juridictionnelle est la première condition de recevabilité examinée par le JA avant l'examen au fond. Et cette nature du contrat est déterminée au regard de l'examen du contrat lui même, de son contenu, et non des décisions qui le concernent.

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Fax Membre VIP

Ensuite,

Une petite précision, faites attention au terme "opinion dissidente" qui a un sens juridique très précis. Le terme est en effet employé pour désigner au sein d'une collégialité de magistrats, le sens, l'avis d'un des membres de la formation collégiale de jugement qui ne va pas dans le sens de la décision que la collégialité a finalement prise. On retrouve cela par exemple pour les membres de la Cour suprême aux Etats-unis où il y a un vote sur la décision ainsi émise, et les positions des juges sont connues.

Dans le système juridictionnel français, il n'y a pas d'opinion dissidente : c'est la collégialité de magistrats qui est une et qui statue. Les décisions juridictionnelles ainsi prises ne font pas l'objet d'un vote connu, on ne dit jamais que telle ou telle décision est prise à la majorité, à l'unanimité....

Je pense que par "opinion dissidente" vous avez voulu parler d'une opinion doctrinale. Dans ce cas, utilisez plutôt les termes "opinion doctrinale divergente", ou "selon la doctrine majoritaire/minoritaire". Je me permets de vous signifier ce détail car si vous mettez cela dans une copie cela peut vous jouer des tours.

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Prudomal Redacteur

D'accord.
Merci.

EDIT : Vous avez parfaitement raison. Je viens de finir un Grisham qui en parlait (Le contrat, Robert Laffond, 2008) et je me suis visiblement laissé emporter. Encore merci.

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Nous sommes tous des Agnès Blanco