Notion de cessation des paiements - commentaire groupé

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Bonjour, voici une proposition de commentaire groupé d'arrêts concernant la notion de cessation des paiements :
arrêt n°62-11.041 de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 3 février 1965
arrêt n° 76-13.718 de la même chambre du 14 février 1978
arrêt n° 80-11849 toujours de la même chambre du 25 mai 1981

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Dans l'arrêt n°62-11.041 de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 3 février 1965, Un règlement judiciaire a été prononcé puis confirmé en appel contre un commerçant au motif qu'il n'avait pas payé à échéance une lettre de change qu'il avait acceptée. Le commerçant s'est pourvu en cassation contre la décision d'appel et demande l'infirmation du jugement de règlement judiciaire. La Cour d'appel confirme le jugement de règlement judiciaire au motif unique que le commerçant n'a pas payé une lettre de change acceptée.
Les juges de la Cour de cassation devaient déterminer si la constatation d'un défaut de paiement d'un effet de commerce caractérisait un état du débiteur justifiant l'ouverture d'une procédure de règlement judiciaire.
La Cour de cassation casse l'arrêt d'appel au visa de l'ancien article 411 (ou 444?) du Code de commerce, au motif « qu'en ne recherchant pas si le commerçant se trouvait effectivement hors d'état de faire face à l'ensemble de son passif exigible, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».

Dans l'arrêt n° 76-13.718 de la même chambre du 14 février 1978, un commerçant a des difficultés à régler ses dettes auprès d'un organisme social qui demande en justice la liquidation des biens.
La Cour d'appel confirme la décision des juges de première instance ayant débouté le demandeur, en se basant sur l'affirmation que le défaut de paiement d'une seule dette ne suffit pas à constituer l'état de cessation des paiements et qu'il n'était pas constatée que la situation du commerçant fût désespérée de sorte que l'état de cessation des paiements n'était pas établi.
Les juges de la Cour de cassation devaient cette fois-ci déterminer si en retenant que la situation du débiteur n'était ni désespérée, ni sans issue, les juges avaient établi l'absence de situation de cessation des paiements, seule caractérisation permettant de prononcer la liquidation des biens du débiteur.
La Cour de cassation casse l'arrêt d'appel au visa de l'article 1er de la loi du 13 juillet 1967, au motif « qu'en ne recherchant pas si le commerçant était en mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».

Enfin, dans l'arrêt n° 80-11849 toujours de la même chambre du 25 mai 1981, un directeur général des impôts a demandé la liquidation des biens d'un commerçant pour retards accumulés de paiement des impôts.
La Cour d'appel déboute le demandeur au motif que la situation financière désespérée, dont la constatation doit être établie pour prononcer la liquidation des biens, ne peut résulter de la simple constatation que le commerçant n'est pas à jour dans ses impôts et n'a pas été établie dans le cas d'espèce.
Cette fois encore, les juges devaient déterminer si l'état de cessation des paiements résultait de la constatation d'une situation financière désespérée.
La Cour de cassation casse l'arrêt d'appel au visa de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1967, au motif « qu'en ne recherchant pas si le commerçant était en mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».

Ces 3 arrêts rendus sur une période de plus de 15 ans illustrent la lente émergence de la définition d'une notion qui va devenir centrale en droit des procédures collectives, la cessation des paiements (I) ; en même temps, ils présument des difficultés probatoires que cette nouvelle définition va amener au créancier (II).

[u:3buhzmtj]I – La lente émergence de la définition de la cessation des paiements[/u:3buhzmtj]

A une position traditionnelle de la Cour de cassation (A) succède avec l'arrêt de 1978 la définition qui est toujours en vigueur aujourd'hui (B).

A / Une position traditionnelle de la notion de cessation des paiements

Dans les années 60, la notion de cessation des paiements n'était pas définie. La Cour de cassation en a donné une définition simpliste et assez vague.

La cessation des paiements signifie basiquement que le débiteur n'est plus en mesure de payer ses créanciers. Dans l'arrêt de 1965, le défendeur au pourvoi avait accepté une lettre de change, il s'était engagé avec la force du lien cambiaire et il est probable que son refus de paiement de la lettre ne soit pas liée à une contestation de la dette elle-même, mais à son incapacité de payer par défaut de trésorerie.
Pourtant, l'incapacité de payer une dette peut revêtir de nombreuses formes ; est-ce en raison d'un déficit momentané de trésorerie ou de raisons structurelles plus profondes, révélatrices d'une situation financière plus aggravée du débiteur ? La Cour d'appel se contente de constater qu'il y a défaut de paiement d'une seule somme d'argent, d'un montant suffisamment important. Elle ne recherche pas si le débiteur est dans l'incapacité de payer, elle se contente de vérifier s'il n'a pas effectivement payé, ce qui était le cas. Il y a une présomption que lorsqu'une dette n'est pas payée, c'est que le débiteur n'est pas en capacité de le faire.
Dans cet arrêt de 1965, la Cour de cassation annule cet arrêt qui ne constate pas que le débiteur n'est pas en capacité de payer, mais seulement qu'il n'a effectivement pas payé sa dette. Ce faisant, elle définit de manière somme tout assez vague la notion de cessation de paiements comme le fait d'« être hors d'état de faire à l'ensemble de son passif exigible ». Définition simpliste et assez vague. En effet, comment un créancier – qui connaît certes l'état de ses propres créances mais ignore celles d'autres créanciers potentiels – peut-il apporter la preuve que sa propre créance constitue l'ensemble du passif exigible du débiteur ?

B / L'émergence d'une obligation de comparaison

En 1978, la Cour de cassation renforce sa définition de la notion de cessation des paiements au moyen d'un élément de comparaison (1) ; ce critère conserve aujourd'hui encore toute sa pertinence (2)

1) La couverture d'un passif par un actif

Dans l'arrêt de 1978, était reproché au débiteur le paiement d'une seule dette, une dette sociale. Dans la décision d'appel attaqué, les juges du fond avaient pris la précaution de préciser que la liquidation des biens ne pouvait résulter de la simple constatation du défaut de paiement d'une seule dette. Toutefois, pour rejeter les prétentions de l'organisme social, elle constatait que n'avait pas été établi que la situation du débiteur était désespérée, de sorte que la cessation des paiements n'était pas établie. La Cour d'appel faisait donc un parallèle très clair entre situation de cessation des paiements et situation désespérée du débiteur. A prendre au pied de la lettre les conclusions du juge de la Cour d'appel, la constatation d'une situation désespérée du débiteur devait par conséquent permettre d'établir avec certitude l'état de cessation des paiements. Cette théorie avait l'avantage de ne pas enfermer la notion de cessation des paiements dans une définition trop stricte, mais soulevait tout de même des difficultés d'interprétation.
La Cour de cassation casse cette interprétation de la Cour d'appel au motif que les juges n'ont pas caractérisé la cessation des paiements, dont la constatation est nécessaire pour prononcer la liquidation de biens. Ce faisant, elle donne pour la seconde fois la définition qui est encore en vigueur de la notion de cessation de paiements (la première fois étant dans l'arrêt Cass. com., 28 février 1977, n°75-12469).

2) La pertinence de ce critère

La définition donnée par la Cour de cassation de la notion de cessation des paiements se révèle être une notion de prime abord purement comptable : « l'incapacité pour le débiteur de faire face à l'ensemble de son passif exigible au moyen de son actif disponible ». A première vue, les 2 notions comptables contenues dans cette définition sont parfaitement définies : le passif exigible, c'est l'ensemble des dettes arrivées à échéance, non réglées et dont les créanciers peuvent exiger le paiement immédiatement ; ce passif comprend par conséquent tout ce que l'entreprise doit payer dans des délais très courts, il dispose de peu de moyens de différer ces paiements. L'actif disponible, c'est l'ensemble des sommes ou effets de commerce dont peut disposer immédiatement ou à très court terme une entreprise ; il s'agit là aussi de ressources disponibles immédiatement. On voit bien que la Cour de cassation impose au juge de définir la notion de cessation des paiements d'un point de vue très pragmatique, en utilisant le biais de la définition comptable ; et en imposant que cette cessation des paiements soit caractérisée par une comparaison entre des ressources et des charges. Cette notion d'équilibre est importante, et elle marque une rupture nette avec la définition de 1965 qui se contentait de caractériser la cessation des paiements en établissant un simple ensemble de charges.
Ce faisant, la Cour de cassation rompt avec la tradition d'interprétation d'une situation financière du débiteur. La Cour d'appel ayant utilisé une approche beaucoup plus juridique, presque diaphane, en caractérisant une situation financière désespérée ou non, en axant certes la motivation du jugement sur des éléments de fait comptables, mais en laissant une grande part à une interprétation du juge pour déterminer si la situation était – ou non – désespérée ; elle ne l'était pas dans l'espèce. La Cour de cassation rompt donc avec cette tradition d'interprétation du juge en imposant une vision purement comptable, basée sur un calcul comptable – mathématique – de grandes masses financières. Cette même définition est ensuite reprise à l'identique dans l'arrêt de 1981, 4 ans avant sa transcription dans la loi de 1985.
Pourtant, il est une notion dans la décision de la Cour de cassation qui laisse quelque peu perplexe : la notion de « faire face » n'est pas une notion comptable (plutôt une notion guerrière !). Comptablement, des ressources couvrent des charges, elles n'y « font pas face ». Il semble que la Cour de cassation ait voulu laisser une petite place à l'interprétation des juges : le débiteur, même s'il ne dispose de peu de marges de manoeuvres concernant le passif exigible – c'est la raison pour laquelle il se retrouve en procédure collective – peut démontrer qu'il maîtrise suffisamment son actif disponible pour faire face, c'est-à-dire pour trouver dans cet actif, même s'il ne couvre pas mathématiquement le passif exigible, les moyens d'affronter une situation de crise.
Le critère dégagé en 1978 par la Cour de cassation est marqué par sa pertinence ; en effet, en ramenant la caractérisation de la notion de cessation des paiements à une notion comptable, elle oblige le débiteur qui demande une procédure collective à l'encontre d'un débiteur ne pouvant payer, à prouver qu'il n'a effectivement pas les moyens de régler rapidement sa dette, ce qui participer grandement à la sécurisation juridique des procédures collectives qui ne pouvaient plus être déclenchée uniquement sur le constat d'un défaut de paiement. En revanche, contrairement à l'affirmation de la Cour d'appel de Pau de 1976, une simple dette peut suffire à caractériser la situation de cessation des paiements si l'actif disponible n'est pas suffisant pour que le débiteur y fasse face (pas très élégant, cela ! ndlr).

Pourtant, aussi concrète qu'elle soit, cette définition ne manque pas de laisser présager de nombreuses difficultés de preuve.

[u:3buhzmtj]II – La difficulté probatoire de la cessation des paiements[/u:3buhzmtj]

Les difficultés probatoires de la notion de cessation des paiements sont illustrées par le fait qu'il appartient au créancier qui demande la mise en procédure collective d'en apporter la preuve (A) et qu'elle se distingue d'autres notions voisines (B)

A / La preuve à charge du créancier

La preuve de la cessation des paiement incombant à celui qui demande la procédure collective, les difficultés probatoires se rencontrent à 2 niveau : d'une part elles concernent l'insuffisante connaissance par le créancier des dettes de son débiteur (1), d'autre part, elles concernent l'absence de connaissance par ce même créancier de l'actif disponible du débiteur (2).

1) L'insuffisance d'une connaissance des dettes du débiteur

Un créancier, par définition, connaît l'état des dettes de son débiteur à son égard. Mais il paraît peu vraisemblable qu'il maîtrisent aussi bien l'état de l'ensemble des dettes de son débiteur. Un rapide tour sur http://www.infogreffe.fr montre que l'on peut connaître la situation comptable annuelle de l'entreprise, l'état de son endettement et des sûretés réelles consenties, l'état éventuelle d'une procédure en cours, mais absolument pas l'état des dette exigibles, qui reste une situation immédiate qui ne s'accorde pas de l'annualité de constitution de la base de données nationale des entreprises enregistrées au RCS.
La simple connaissance d'une dette non réglée constitue à peine un indice de difficultés de l'entreprise lorsque, après plusieurs relances, elle ne consent pas à s'en acquitter.
Seule la situation dans laquelle le débiteur (éventuellement un organisme social) se sait le débiteur le plus important quantitativement de l'entreprise peut lui donner une certaine assurance que son passif exigible est proche en valeur de la créancer qu'il détient.

2) La difficulté d'information concernant l'actif disponible

Encore plus compliquée est la connaissance par le créancier de l'état de l'actif disponible de son débiteur. Comment un débiteur pourrait -il connaître avec précision le montant des effets de commerces escomptables ou réglables à très courte échéance, ses créances exigibles, éventuellement ses autres éléments d'actif dont il peut se séparer à très court terme ?
Encore une fois, la connaissance des comptes annuels arrêtés au 31 décembre N-1 ne sont d'aucune utilité, car la cessation des paiements est une situation immédiate, donc très sensibles aux flux quotidiens de trésorerie, aux paiements des salaires et des charges sociales, aux moratoires accordés par les créanciers...

B / Une définition difficile à maîtriser

Finalement, ce qu'affirme la Cour de cassation dans la décision de 1978, c'est ce que n'est pas la notion de cessation des paiements. Elle est certes une situation financière grave pour l'entreprise, mais elle n'est pas désespérée. D'ailleurs, la législateur de 2005 a consacré cette analyse en permettant la procédure de conciliation, jusqu'à 45 jours après la cessation des paiements, ce qui démontre qu'il avait confiance que la situation de l'entreprise n'est pas encsore définitivement obérée (ne l'est-elle pas toutefois de fait dans la réalité des procédures collectives ?). Par là-même, il importe peu que la Cour d'appel se lance dans une longue appréciation qualitative de la situation de l'entreprise, notamment en essayant de caractériser une situation désespérée ou irrémédiablement obérée.
En particulier, la cessation des paiements n'est pas une situation d'insolvabilité, c'est-à-dire une insuffisante couverture de l'ensemble du passif par l'ensemble de l'actif, témoin d'une succession d'exercices déficitaires ayant mis à mal l'actif de l'entreprise, et qui, en général, constitue une réelle situation financière compromise. En prenant en compte d'autres masses financières que l'ensemble de l'actif et du passif, en circonscrisant la notion de cessation des paiements aux seuls éléments d'actif disponible et de passif exigible, elle met le tiers intervenant dans la procédure collective en mesure de disposer d'autres voies que celle de simplement constater une mort définitive de l'entreprise : il reste au moins des éléments d'actif, fussent-ils difficilement disponibles, dont la vente peut encore permettre au pire de rembourser les créanciers et de tenter le sauvetage de l'entreprise, au pire de procéder au partage .