Expropriation et utilité publique

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un commerçant propriétaire de son fonds de commerce qui l'exploite sur le domaine public par l'octroie d'une concession ayant un terme dans 29 ans peut faire l'objet d'une expropriation si toutefois celle-ci répond au critère d'utilité publique.
Si l'utilité public est d'installer des enseignes nationales à la place dudit commerçant afin de dynamiser les commerces du centre ville, cette acception de l'utilité publique est elle contestable ou pas. Merci d'avance de votre réponse. Gascarot

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Yann Modérateur

C'est un cas compliqué, je ne m'avancerai pas à donner un avis net et tranché avec seulement 6 lignes de présentation générale.A mon avis le cas réel pourrait aisément être un dossier de bonne taille chez un avocat.

Ce qui va suivre n'est donc que mon impression à la lecture de votre message et n'engage à rien.33.gif

En premier je dirais qu'il n'y a pas forcément expropriation. Je m'explique car il faut ici distinguer plusieurs notions.

D'abord la question du domaine public: imprescriptible et inaliénable, la personne publique en reste toujours propriétaire quelle que soit l'activité exercée dessus. En revanche, elle peut autoriser sous certaines conditions une entreprise à travailler. Et cette autorisation restera précaire et révocable.

Ensuite le fonds de commerce: selon le code de commerce, pour le définir grossièrement c'est l'ensemble des éléments qui font le commerce: tables, chaises, clientèle, etc... Cela inclut parfois, mais pas toujours, le local. Et ce dernier point est important dans notre cas.

Ceci posé, ça se complique car les deux notions vont se mélanger dans notre cas. Il y a principalement deux types d'autorisation d'utilisation du domaine: les permissions de voiries et les permis de stationnement.
Le permis de stationnement est une autorisation d’occupation privative du domaine public sans emprise, c’est-à-dire sans incorporation au sol (exemples : installation de terrasses de café sur les trottoirs, pose d’un échafaudage, bac à fleurs). C'est la même chose que le permis de stationnement utilisé par tout à chacun pour garer sa voiture.
La permission de voirie en revanche est une autorisation d’occupation privative du domaine public avec emprise. Elle implique l’exécution de travaux qui modifient l’assiette du domaine occupé (exemples : pompes à essence, palissades pour la clôture des chantiers).
Si notre commerçant a un simple permis de stationner, on ne peut pas dire qu'il y a expropriation. Il reste propriétaire de son fonds de commerce. On lui demande juste d'aller exercer ailleurs.
S'il a une permission de voirie la situation sera plus difficile car la question du local devra être tranchée, et à mon sens il peut demander une indemnisation. Mais on ne peut pas réellement parler d'expropriation au sens strict.

Cette question d'expropriation un peu éclaircie, il faut également préciser certains point sur l'occupation du domaine.

L’occupation ou l’utilisation du domaine public ne peut être que temporaire, elle présente un caractère précaire, révocable à tout moment et est conclue pour une durée déterminée. Cette règlementation est valable depuis des lustres. « Les autorisations d’occupation du domaine public sont délivrées à titre précaire et révocable et ne sont pas créatrices de droit au profit des bénéficiaires ; … leur titulaire n’a droit ni à leur maintien, ni à leur renouvellement » (CE, 24 novembre 1993, SA Atlantique construction). Le commerçant le savait en obtenant son autorisation, il ne peut donc pas tellement jouer les surpris. Nul n'est sensé ignorer la loi, c'est moche, mais c'est comme ça...17.gif

J'en viens (enfin) au cœur de votre problème: la révocation doit se faire non pas pour des raisons d'utilité publique, mais "pour tout motif d'intérêt général". La nuance est mince, je l'accorde, mais là où on parle d'utilité publique, il faut une déclaration d'utilité publique ce qui est une procédure administrative bien précise. En revanche, si on parle de motif d'intérêt général, c'est plus vague et donc plus souple et moins contraignant pour la personne publique propriétaire, par exemple:
. des raisons tenant à la police ou à la gestion du domaine public (CE, 8 mars 1989, commune de Carnoux-en-Provence, n° 86109)
. l’intérêt du domaine public
. l’inobservation des conditions imposées à l’occupant.
. etc...

Est-ce qu'installer une grande enseigne à la place de petits commerce relève de l'intérêt général? Honnêtement je ne sais pas. C'est tellement subjectif qu'il m'est impossible de répondre de manière ferme et incontestable7.gif. Pour le savoir il faut connaitre tout le dossier: le contexte économique de la région, l'historique des lieux, l'activité des petits commerces, le projet réel et détaillé de ce qui va être implanté, etc... Autant d'éléments dont nous ne disposons pas ici. La définition de l'intérêt général relève bien souvent de l'appréciation souveraine des juges du fond.

Mon conseil c'est de prendre votre dossier et de le soumettre à un avocat (et par pitié prenez un spécialiste du droit public et pas le premier que vous trouvez dans l'annuaire). Une fois tous les éléments pertinents en main il pourra vous dire si ça vaut le coup ou non de contester la révocation de l'autorisation.

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Bonjour, merci de votre longue et précise réponse.

Effectivement, j'ai conscience qu'à travers le peu d'informations que je vous livre, il n'est pas facile de cerner notre problème.

Pour vous éclairer, nous sommes des étaliers -commerçants installés sur le pourtour des halles en centre ville, autant dire que nos emplacements sont des emplacements de tout premier ordre.

En contigu du marché des halles, il y a une galerie commerciale qui se vide des ses commerces.

L'actuel bailleur, le Groupe Aviva, propose à la mairie de faire des travaux de rénovations dans la galerie (environ 5 à 7 millions d'€) et sur les façades pour créer de l'attractivité. Ces investissements du bailleur sont conditionnées à ce que la mairie leur cède les emplacements des étaliers du pourtour.
Cette remise gratuite de nos emplacements et dans le but non avouer encore d'y installer des enseignes nationales. Avec ce projet, la mairie pense ré dynamiser le centre ville.

Ma question est simple: peut on contester l intérêt général en expropriant des commerces privés existants au profit d'autres privés qui parce qu'ils ont un retentissement national. On peut toujours trouver un intérêt général pour justifier une expropriation mais pour que cette expropriation soit recevable il faut, me semble t il, que l intérêt général soit justifiable. Nous avons aussi une concession d'occupation qui nous engage jusqu'én 2029 et dans cette concession il n'y a pas un article qui prévoit pour la mairie de récupérer le domaine publique. Le seul moyen de récupérer est de payer les indemnités d'expropriation, et c'est sur le niveau des indemnisations que nous ignorons les pratiques. Merci d avance de votre reponse

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Yann Modérateur

Ça permet d'y voir plus clair, mais si la question est simple, la réponse l'est rarement en droit.3.gif

Vous avez entièrement raison en disant que la commune doit pouvoir justifier de l'intérêt général. Et si vous allez plus loin c'est là dessus qu'il faudra jouer.
La difficulté c'est que la notion d'intérêt général n'est pas unique et objective. Ce n'est pas noir ou blanc, c'est gris, et on sait maintenant qu'il y a plus de 50 nuances de gris...4.gif
Bref, selon les lieux et les époques une même situation pourra être reconnue comme étant d'intérêt général ou non. Je n'ai plus toutes les jurisprudences en tête, mais par exemple je me souviens avoir déjà lu un arrêt où un cinéma était considéré comme relevant totalement du privé donc ne touchant pas à l'intérêt général et un autre où un cinéma était au contraire un service public d'intérêt général...

Ceci n'est pas négatif pour votre cas. Ça signifie qu'on ne peut pas dire objectivement que vous n'êtes pas fondé à contester la révocation de l'autorisation d'occupation du domaine public et inversement. Si j'étais votre avocat je tendrai à penser que ça mérite de donner suite...

Mais les conseilleurs ne sont pas les payeurs25.gif.


Une grosse précision toutefois vous indiquez:
Nous avons aussi une concession d'occupation qui nous engage jusqu'én 2029 et dans cette concession il n'y a pas un article qui prévoit pour la mairie de récupérer le domaine publique.
Si le terrain relève bien du domaine public, il est absolument inutile de prévoir une telle clause dans la concession. C'est la loi: article L2122-3 du code général de la propriété des personnes publiques: "L'autorisation mentionnée à l'article L. 2122-1 présente un caractère précaire et révocable."
Si j'ai bien compris les éléments que vous donnez on n'est pas dans le cadre de l'article 545 du code civil. Vous êtes dans le cadre d'une occupation du domaine public, et pas dans celui d'une expropriation, c'est pour cela que j'insiste sur ce point. Attention!33.gif

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Je réponds avec retard et il n'est jamais trop tard, je pense, pour vous remercier de votre analyse.

Depuis notre dossier avance: la mairie va décider de voter en conseil municipal le projet sur les travaux sur le pourtour des halles.
Ces travaux seront financés par le groupe Aviva. Nous ignorons si nos concessions seront redonnés à Aviva qui pour les louer très chers...
Je m interroge si les travaux financés par Aviva rentre dans le concept de l intérêt général surtout si c est pour servir la galerie commerciale voisine dont ils sont propriétaires.
La mairie souhaite négocier avec nous cette loi ci dessous devrait augmenter le niveau de nos indemnisations: La loi n°2014-626 du 18 juin 2014 autorise désormais l’occupant du domaine public à exploiter un fonds de commerce.

http://www.village-justice.com/articles/loi-no2014-626-juin-2014-autorise,17328.html

Mais nous souhaitons rester dans nos installations car nos emplacements dont de tout premier ordre et que nul par ailleurs nous trouverions l équivalent et à niveau de loyer si intéressant.

Que pouvons nous faire pour enrayer le rouleau compresseur de cette décision de la maire...
Merci de votre aide.
Cordialement

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Yann Modérateur

Qui dit délibération dit recours potentiel. A ce stade, si vous ne souhaitez pas partir, mais que la mairie continue et qu'il n'y pas d'accord possible. Seule reste l'option du contentieux.

Engagez un avocat, si vous faites un recours collectif avec tous les commerçants ça ne vous coûtera pas trop cher chacun. Mais ne tardez pas trop, il y a des délais à respecter.