Epinal Cas pratique Droit de la famille Mme GARDIN juin 2001

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{{Attention : le sujet et son corrigé sont antérieurs à  la réforme du droit de la famille !}}


DEUG Juridique
1ère année Epinal
Droit de la famille
Année universitaire 2000/2001
A. Gardin

EPREUVE COLLECTIVE DU JEUDI 25 JANVIER 2001
(Durée : 3 heures)


CAS PRATIQUE

Irène CAROT et Mathias DEPIC font connaissance chez des amis communs le 5 avril 1994. Très vite, ils s'installent ensemble dans un petit appartement à  Paris. Au début du mois de juin de la même année, Irène annonce à  son ami qu'elle est enceinte. Le couple décide alors de se marier et la cérémonie est célébrée le 18 aoà»t 1994.
Pourtant, après quelques mois de vie conjugale paisible, une violente dispute oppose les époux le soir de la St Sylvestre. Mathias, qui a revu les amis à  l'origine de leur rencontre, vient d'apprendre qu'à  cette époque, la jeune femme entretenait une liaison tumultueuse avec Bruno LECOEUR. Très jaloux, il questionne sa femme et l'accuse d'avoir poursuivi cette relation bien après le début de leur idylle. Il se déclare même persuadé qu'il n'est pas le père de l'enfant à  naître. En dépit des dénégations d'Irène, les scènes se multiplient de deviennent de plus en plus pénibles. Soucieuse de son état, Irène finit par quitter le domicile conjugal pour s'installer chez sa mère.
Le 8 février 1995, Irène accouche d'une petite fille prénommée Sophie et déclarée à  l'état civil comme l'enfant du couple CAROT-DEPIC. Averti de la naissance par la mère de la jeune femme, Mathias refuse de la revoir et nie catégoriquement sa paternité.

Au mois de septembre 1995, Mathias vient vous consulter sur les points suivants :
1. S'il intente une action en justice, le divorce peut-il être prononcé aux torts exclusifs d'Irène ?
2. Que doit-il faire pour n'être aucunement tenu envers l'enfant d'Irène ?

Finalement, Mathias renonce à  intenter une quelconque action en justice. Le couple demeure cependant séparé et Mathias n'accorde toujours aucune attention à  Sophie.
Début mars 1996, Irène s'installe avec Sophie chez Bruno LECOEUR qui reconnaît l'enfant par déclaration devant l'officier d'état civil.
Le 6 novembre 2000, Irène met au monde un petit garçon prénommé Marc et déclaré à  l'état civil sous le seul nom de sa mère. Le 30 novembre, Bruno reconnaît l'enfant qui vit avec le couple.
Fin décembre 2000, Irène et Bruno mettent un terme à  leur vie commune car ce dernier vient d'apprendre des faits troublants :
- depuis février 2000, à  chacun de ses déplacements professionnels, la voiture de Mathias restait garée toute la nuit devant le domicile du couple ;
- Mathias a accompagné Irène lors des visites médicales prénatales auxquelles il n'avait pu se rendre.

Aujourd'hui, Irène et Mathias viennent vous consulter sur les points suivants :
1. Quel est le statut des 2 enfants au regard du droit de la filiation ?
2. Comment faire bénéficier Sophie et Marc du statut d'enfant légitime?


CORRECTION


I. LES DEMANDES DE MATHIAS

1) Le divorce

seul forme de divorce envisageable : un divorce pour faute

• Les griefs de Mathias

Problème juridique : les conditions du divorce pour faute

Règle théorique : art. 242 C. civ. ? 4 éléments :
- une violation des devoirs et obligations du mariage
- grave ou renouvelée
- rendant intolérable le maintien de la vie commune.
- un élément moral : l'imputabilité.

Application :
• Adultère : Non, car pas de violation du devoir de fidélité. Mathias invoque la conception de l'enfant qui a eu lieu avant le mariage.
• Abandon du domicile conjugal : violation du devoir de communauté de vie (art. 215), grave et rendant la vie commune intolérable.

Conclusion : Mathias peut invoquer une faute d'Irène au sens de l'art. 242 C. civ..

• La défense d'Irène :

Problème juridique : l'incidence des fautes du demandeur en divorce pour faute

Règle théorique : art. 245 C. civ.
Aux termes de l'art. 245 C. civ., la réciprocité des torts peut conduire soit à  un rejet de la demande en divorce, soit au prononcé du divorce aux torts partagés ou exclusifs
• Le rejet de la demande de Mathias
Art. 245, al. 1 C. civ : mécanisme de l'excuse
Pour pouvoir excuser la faute du défendeur, celle du demandeur doit remplir 3 conditions :
- elle doit répondre aux exigences de l'art. 242 ;
- elle doit être antérieure à  la faute du défendeur et présenter un lien de causalité ;
- elle doit être de même importance (mais pas forcément de même nature).

En l'espèce, Irène pourra tenter de prouver que sont départ du domicile conjugal peut être excusé par le comportement de Mathias, afin d'obtenir le rejet de la demande en divorce formée par ce dernier. Les 3 conditions sont-elles remplies ?
- faute au sens de l'art. 242 : oui, scènes violentes de Mathias (devoir d'assistance entendu au sens large : art. 212), risque pour sa grossesse ;
- antériorité : oui, les scènes ont conduit au départ d'Irène ;
- faute de nature différente mais de même importance.

• Le prononcé du divorce lié aux fautes de Mathias
Irène peut également choisir d'invoquer la fautes de Mathias en formant une demande reconventionnelle ou dans ses moyens de défense et ce, afin d'obtenir le prononcé du divorce.
* La demande reconventionnelle : art. 245 al. 2.
Trois solutions s'offrent alors au juge :
- il accueille la demande principale de Mathias et rejette la demande reconventionnelle d'Irène ? le divorce est prononcé aux torts exclusifs d'Irène ;
- il rejette la demande principale de Mathias et accueille la demande reconventionnelle d'Irène ? le divorce est prononcé aux torts exclusifs de Mathias ;
- il accueille les 2 demandes ? le divorce est prononcé aux torts partagés.
* Les moyens de défense : art. 245 al. 3,
Le juge peut prononcer un divorce aux torts partagés même s'il n'est saisi que de la demande d'un des époux lorsque « les débats font apparaître des torts à  la charge de l'un et de l'autre ».
Mais en pareille situation, le juge ne pourra jamais prononcer le divorce aux torts exclusifs de Mathias puisqu'Irène n'a rien demandé. Elle s'est contentée de se défendre.


2) L'entretien de Sophie

• Statut de Sophie
Problème juridique : la paternité du mari de la mère

Règle théorique : art. 312 : enfant conçu pendant le mariage/art. 314 : enfant né pendant le mariage mais conçu avant.

Application : mère célibataire au temps de la conception mais mariée lors de la naissance

Conclusion : Sophie est l'enfant légitime de Mathias et d'Irène en application de l'art. 314. Son statut est établi par le titre.

• Actions en contestation possibles

Problème juridique : la contestation de la filiation légitime

3 actions envisageables :

• désaveu sur simple dénégation
art. 314 al. 3
mais 2 fins de non recevoir :
- connaissance de la grossesse avant le mariage
- comportement du mari après la naissance
En l'espèce, Mathias connaissait la grossesse d'Irène avant le mariage. L'action est irrecevable.

• désaveu de droit commun
art. 312 (cf. 314, al. 3)
mais délai d'action : art. 316 ? 6 mois depuis la naissance : 8 février + 6 mois = 6 aoà»t 1995. Mathias vient vous voir début septembre : délai expiré. L'action est fermée.

• action en contestation de paternité légitime
art. 322, al. 2 a contrario (jp) : enfant qui n'a pas la PE d'enfant légitime (Mathias n'a jamais vu Sophie)
preuve de la non paternité
délai d'action : 30 ans

II. LES DEMANDES D'IRENE ET DE MATHIAS

1) Les statut de Marc et Sophie

• Sophie

Enfant légitime de Mathias et d'Irène en application de l'art. 314
Mais reconnaissance de Sophie par Bruno (art. 335)

Problème juridique : la validité de la reconnaissance d'un enfant légitime

Règle théorique : art. 334-9 interprété a contrario (jp)
Reconnaissance valable si pas de PE d'enfant légitime

Application : Mathias ne s'est jamais occupé de Sophie. Elle n'a pas la PE d'enfant légitime.

Conclusion : existence d'un conflit de filiation. 2 pères prétendus : Mathias et Bruno.

• Marc

• La présomption de paternité a-t-elle vocation à  s'appliquer ?
Calcul PLC : art. 311 ? 6 janvier 2000 au 6 mai 2000.
Mère mariée au temps de la conception ? enfant légitime de Mathias et Irène application de l'art. 312.

• La présomption peut-elle être écartée ?
Art. 313-1 : 2 conditions
- enfant déclaré sous le seul nom de la mère
- PE qu'à  l'égard de la mère
ici, les 2 conditions sont remplies. L'enfant a une filiation naturelle a matre (art. 313-2, al. 1).

• Filiation paternelle ?
Art. 334-8 : 3 mode d'établissement
Art. 335 : reconnaissance
Ici, Bruno a reconnu Marc ? filiation naturelle a patre

Conclusion : Marc est enfant naturel de Bruno (simple) et d'Irène (adultérin).

2) L'établissement définitif de la filiation légitime

• Sophie

Problème du conflit de paternité
Art. 311-12 : filiation la plus vraisemblable. Si pas d'éléments suffisants, les juges tiennent compte de la PE.
Ici, Bruno a élevé l'enfant pendant plus de 4 ans ½ alors que Mathias ne s'y est jamais intéressé. Seule possibilité pour faire trancher le conflit en faveur de Mathias : demander un examen comparé des sangs.

• Marc

Problème juridique : le rétablissement de la présomption de paternité

Règle théorique : art. 313-2, al. 2
2 conditions cumulatives :
- réunion de fait pendant la PLC
- paternité du mari vraisemblable

Application :
- Rencontres depuis février 2000. Or PLC du 6 janvier 2000 au 6 mai 2000
- Paternité vraisemblable : prise en compte du comportement de Mathias pendant la grossesse.