Cumul de responsabilités (précisions)

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Bonjour :)



Je souhaiterais avoir une précision car, bien que j'ai lu certaines réponses apportées sur ce forum par le passé, j'ai plusieurs doutes qui subsistent :(

Je veux bien être certain d'avoir compris le principe du cumul de responsabilités, parce que j'ai l'impression qu'il y a une confusion qui est faite, mais je ne sais pas si c'est moi qui l'a fait.

De ce que j'ai compris, le cumul de responsabilités (arrêt Lemmonier 1918) c'est:



- La possibilité, pour un même fait, lorsqu'il n'y a qu'un "fait fautif", de poursuivre, au choix, l'agent pour faute personnelle devant le juge judiciaire, ou l'administration pour faute de service devant le juge administratif (bon évidemment ce sera très souvent l'administration pour éviter l'insolvabilité de l'agent)



Ce que je ne comprends pas, ce sont ceux qui disent que la responsabilité de l'administration serait engagée sur la base d'une unique faute personnelle de l'agent, simplement parce que celle-ci serait non-détachable du service car accomplie avec les moyens ou dans le prolongement de la mission du service.

Pour moi, il n'y a pas une seule faute (celle de l'agent) mais bien un fait unique qui peut être qualifié de deux manières (soit faute personnelle soit faute de service)

Je trouve ça absurde car ça reviendrait à dire qu'on engage la responsabilité de l'administration sur la base d'une faute personnelle, or pour moi on ne peut que sur la base d'une faute de service.



Donc c'est bien que le même fait à la base peut être qualifié différemment par les deux ordres, et c'est pour cela qu'on laisse le choix à la victime de poursuivre pour l'une ou pour l'autre des deux responsabilités.

Quand Blum dit "la faute se détache du service mais le service ne se détache pas de la faute" ça veut dire que lui préconisait qu'une faute personnelle de l'agent, serait quand même liée au service de toutes les manières qu'il soit, et que donc ça engagait la responsabilité de l'admin. sur la base d'une faute personnelle"



Or ce n'est pas tout à fait ce que dit l'arrêt Lemonnier.

Qu'en pensez-vous ? je suis un peu perdu



Merci d'avance !





PS: je précise que je parle juste du cumul selon l'arrêt Lemonnier, car aujourd'hui il y a une évolution beaucoup plus favorable à la victime, exemple:

la faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service est de nature à engager la responsabilité de l’administration « sans
qu’il y ait lieu de rechercher si une faute service a été commise dans l’organisation ou le contrôle du service en cause » (CE, 25 janv. 1980, Min. des affaires étrangères) Dernière modification : 11/11/2019 - par SamLawyer

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C9 Stifler Modérateur

Bonjour,

En soit vous avez raison, le Conseil d'Etat admet la théorie d'un cumul de responsabilités avec la décision Epoux Lemonnier, mais en réalité cela s'apparente plutôt à un cumul de qualifications comme vous l'avez détaillé.

La dénomination peut donc paraître trompeuse, toutefois c'est bien un cumul de qualifications qui a été déterminant dans la décision.

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Merci pour ta réponse. Je comprends mieux. Je trouve également cela étrange car on ne cumule pas les deux responsabilités à proprement parler, on laisse le choix à la victime d'en invoquer l'une des deux.



Donc en fait, le véritable "cumul de responsabilités", ce serait plutôt le cumul de fautes de l'arrêt Anguet (puisque on engage une action unique devant le juge adm. contre l'administration qui est présumé être responsable des deux fautes)

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Fax Membre VIP

Bonjour,

Vous avez à mon sens compris cette théorie : Ce cumul de responsabilités c'est en effet la possibilité pour la victime d'engager la responsabilité de l'administration lorsque que le dommage trouve sa cause dans un fait unique constitutif d'une faute (JSP Epx Lemmonier). Ce cumul de responsabilité est bien distinct de la première évolution de la JSP en la matière qui avait d'abord consacré le cumul de fautes (JSP Anguet)

Toutefois, et c'est là où vous butez je pense, cet unique fait est tout à la fois une faute personnelle et une faute de service. Autrement dit ce fait unique ce n'est pas nécessairement soit une faute personnelle soit une faute de service, ce peut être les deux; C'est la raison pour laquelle la victime peut opter pour l'engagement de la responsabilité de l'administration devant le juge administratif plutôt que la citation de l'agent public devant la juridiction judiciaire.

C'est le cas lorsque cette faute personnelle de l'agent est commise tant dans le service ou à l'occasion du service qu'en dehors du service mais que la faute ne se détache pas du service. On considère que sans le service, la faute personnelle n'aurait en quelque sorte pas été commise.

Dans l'arrêt Epx Lemmonier, il s'agit d'une faute grave de l'autorité de police qui a autorisé l'établissement de tirs sur buts flottants sans s'assurer que la sécurité était garantie. La faute est à la fois une faute dans l'organisation du service (= faute de service) mais aussi du à une négligence, une imprudence du maire (= faute personnelle). Le juge administratif permet, pour la première fois, en cas de faute unique que la responsabilité de la commune puisse être engagée devant lui alors même que la responsabilité personnelle du maire pourrait être engagée pour le même fait devant la juridiction judiciaire.

La JSP a ensuite affiné les cas de fautes personnelles pouvant engager la responsabilité de l'administration. Ce sera ainsi le cas :

- soit lorsque la faute personnelle est commise à l'occasion des fonctions : exemple, un pompier qui, près du lieu du sinistre sur lequel il s'est rendu pour exercer sa mission, jette imprudemment un mégot de cigarette dans une grange et provoque un nouvel incendie (CE, 7 février 1981, Commune de Chonville-Malaumont). Ici le juge considère que la faute personnelle n'est pas dépourvu de lien avec le service (c'est tant parce qu'il s'est rendu sur les lieux pour exercer sa mission que par son imprudence que le dommage a été causé)

- soit lorsque la faute personnelle est commise en dehors du service mais avec les moyens du service (lien juridique ou matériel) : exemple d'un gendarme (qualifié par les journaux de "tueur de l'Oise") qui, en dehors du service, a pris une femme en stop et l'a assassinée (CE, 18 novembre 1988, Raszewski) Le juge a considéré que cette faute personnelle était en lien avec le service car les fonctions du gendarme ont facilité son activité criminelle.



Si c'est assez contraignant pour l'administration, cette dernière dispose toutefois d'une action récursoire c'est-à-dire qu'elle va ensuite se retourner contre son agent pour demander réparation du préjudice qu'elle a subi résultant de l'indemnisation de la victime qu'elle a assuré pour la part du dommage qui résulte de la faute personnelle de l'agent.

La seule hypothèse où on ne peut pas engager la responsabilité de l'administration pour une faute personnelle d'un agent public est l'hypothèse où la faute personnelle :

- n'a aucun lien avec le service

- a un lien mais elle est d'une gravité telle qu'elle se détache du service. C'est le cas lorsque la faute personnelle revêt:

* une gravité inadmissible : exemple d'un policier qui poursuivant un étudiant qui s'est réfugié dans la loge d'un concierge frappe ce dernier (TC, 9 juillet 1953, Delartre)

* ou qu'elle comporte une intention de nuire : exemple d'un gardien de prison qui a commis des vols avec la complicité des détenus qu'il était chargé de surveiller (CE, 11 novembre 1953, Oumar Samba).

Cette restriction de la faute personnelle et donc en parallèle, l'élargissement des hypothèses où la victime peut engager la responsabilité de l'administration ont été consacrés pour faciliter la réparation du préjudice pour les victimes de dommages causés par des agents publics. Elle se fonde sur le fait que, l'administration agissant nécessairement par la voie d'un intermédiaire, l'agent, il est délicat dans bon nombre des cas de déterminer dans un fait unique ce qui relève du fait de maladresses de l'agent (qui avant la consécration de cette théorie, imposait à la victime de saisir le seul juge judiciaire) et ce qui relève d'une désorganisation du service (qui lui imposait de saisir le seul juge administratif).

Il y a bien un cumul de responsabilités car au final avec l'action récursoire, l'administration qui aura indemnisé la victime de son entier dommage, va engager la responsabilité de l'agent pour récupérer ce qu'elle a indemnisé à la victime (ce qui constitue un préjudice pour elle) au titre de ce qu'elle estime avoir été causé par la faute personnelle de l'agent. Dernière modification : 11/11/2019 - par Fax

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Merci beaucoup :) J'ai tout compris !