Commentaire CEDH 2006 Sacilor-Lormines

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Je viens de lire la charte d'utilisation et je crois avoir compris le but du jeu...
Je laisse tomber Leyla Sahin qui me semble un peu compliqué pour me concentrer sur l'arret de la CEDH Sacilor-Lormines contre France, 9 novembre 2006:
http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view. ... n=hudoc-fr

Cet arret est rendu dans la lignée de Kress et de Procola.
Il concerne la fonction du Commissaire du Gouvernement.
Problématique: violation de l'article 6§1?, fonction du CDG, une contre-garantie d'impartialité et d'indépendance?

Pour moi, le CDG pose 2 problèmes:
- sa présence /particpation au délibéré de la formation de jugement
- sa dualité fonctionnelle: juge et conseil

Donc première partie: la dualité fonctionnelle non contraire à l'article 6§1(pas de réel controle, la cour précise:la dualité fonctionnelle "en l'espèce"n'est pas contraire à l'article 6§1, laisse présager un possible revirement?)

Deuxième partie: la présence du CDG au délibéré, incompatible avec l'article 6§1( précise et confirme Kress, délégalisation de l'appellation CDG)

Qu'en pensez-vous? Si vous avez d'autres idées de plans...je suis preneuse!
MERCI

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Les dualismes fonctionnels des cours suprêmes, note de Fredéric Rolin sous CEDH 9 novembre 2006, Sacilor-Lormines c/ France

L’arrêt qui vient d’être rendu par la Cour, à l’étroite majorité de 4 voix contre 3, s’inscrit dans la continuité des débats initiés à la suite des arrêts Procola et Kleyn, sur les questions que pose la « dualité fonctionnelle » de celle des hautes juridictions administratives qui disposent en outre d’attributions consultatives ou décisionnelles, en règle général au profit d’autorités gouvernementales.

Là ne s’arrête cependant pas son intérêt puisqu’après avoir statué sur cette question, il examine également celle de l’impartialité objective personnelle de l’un des membres du Conseil d’Etat ayant été conduit à siéger dans une affaire.

L’objet de cette note n’est pas de reprendre ici l’analyse de l’ensemble des questions et des principes généraux applicables, celle-ci ayant été excellemment faite par ailleurs (v. not. J.-L. Autin et F. Sudre, note sous CEDH Procola, RFDA 1996, p. 777 ; P. Fombeur, J.cl. Justice administrative, fasc. 70-11, jugement –abstention récusation, L. Milano Le droit à un Tribunal au sens de la CEDH, Thèse Montpellier, 2004, p. 490 et s.). Il s’agit en revanche d’essayer de replacer les solutions acquises dans le contexte du contentieux administratif français.


I : Le refus d’un contrôle abstrait sur le dualisme fonctionnel du Conseil d'Etat.


Le premier apport de l’arrêt est de poser de manière expresse que le cumul des fonctions administratives et des fonctions juridictionnelles au sein du Conseil d’Etat français n’est pas en soi contraire aux principes contenus dans l’article 6 de la Conv. EDH.



A la vérité, personne n’en doutait plus. Certaines des formules contenues dans l’arrêt Procola pouvaient, il est vrai, prêter à une interprétation maximaliste : « le seul fait que des personnes exercent successivement à propos des mêmes décisions les deux types de fonctions (consultatives et juridictionnelles) est de nature à mettre en cause l’impartialité structurelle du Conseil d’Etat luxembourgeois ». Mais, cette notion d’impartialité structurelle visait en réalité à distinguer l’impartialité pour motifs individuels de l’impartialité liée à un « effet de structure » de la juridiction. D’ailleurs en admettant dans l’arrêt Kleyn (v. nos obs Encore une minute, Monsieur le bourreau. La poursuite du débat sur le dualisme fonctionnel des cours suprêmes devant la CEDH, AJDA 2003, p. 1490) l’absence de partialité du Conseil d’Etat néerlandais, à la fois conseil et juge, la Cour EDH avait réglé cette question.



Il reste que le Conseil d'Etat sera sans doute satisfait de lire sous la plume de la Cour que (§ 71 de l’arrêt) : « (la Cour ) réaffirme que la Convention n'oblige pas les Etats à se conformer à telle ou telle notion constitutionnelle théorique concernant les limites admissibles à l'interaction entre le pouvoir exécutif et l'autorité judiciaire (Kleyn et autres précité, § 193). Comme pour le Conseil d'Etat néerlandais, il n'y pas lieu d'appliquer une doctrine particulière de droit constitutionnel à la situation du Conseil d'Etat français et de statuer dans l'abstrait sur la compatibilité organique et fonctionnelle de la consultation du Conseil d'Etat en ce qui concerne les projets de loi et les décrets d'application avec l'article 6 § 1 ». Ce qui va sans dire, va mieux en le disant.





Il y aurait beaucoup à dire sur les composantes idéologiques de cette motivation, et en particulier sur le refus allégué d’adhérer à une théorie particulière de la séparation des pouvoirs, tout en procédant à un contrôle concret qui contient malgré tout des éléments d’une telle théorie. Mais concentrons nous, comme promis, sur les aspects de contentieux administratif.



Le second apport de l’arrêt, est à la vérité moins un apport qu’une nouvelle question ouverte. la motivation mérite d’être examinée de plus près. Si l’on en reprend le texte exact la décision n’examine la question de la compatibilité des fonctions consultatives et contentieuses qu’au regard de l’examen portant sur « les projets de loi et les décrets d’application ». Toutefois, la question qui se posait à la Cour concernait non pas la consultation sur un projet de loi ou de décret, mais sur une «difficulté qui s’élève en matière administrative », au sens de l’article L. 112-2 du Code de justice administrative. Et finalement, dans la dernière phrase du § 71 précité est mentionné « l'exercice successif des fonctions consultatives et juridictionnelles en l'espèce », sans plus de précision cette fois sur la nature de la fonction consultative mise en œuvre.



D’où la question : doit-on considérer que la Cour admet la compatibilité abstraite de toutes les formes d’activité consultative avec l’activité juridictionnelle, ou au contraire cette compatibilité est-elle circonscrite à certaines composantes de cette activité consultative ?





Si la question est suscitée par la lecture de l’arrêt, c’est bien que la réponse en s’y trouve pas, de sorte qu’on ne peut sur ce point fournir que des éléments de solution.





A cet égard on observera tout d’abord que le fait que la Cour procède à la confusion qui vient d’être soulignée semble attester que dans son esprit la fonction consultative forme une sorte de grand tout indifférencié, ce qui laisserait accroire que c’est bien la totalité de cette fonction qui se trouve englobée dans son raisonnement.



On peut toutefois apporter une nuance à cette proposition de base : en n’évoquant que les « lois et décrets d’application » (et on laissera de côté la question des règlements autonomes qui bien que non mentionnés par la Cour se rattache de toute évidence à ces deux catégories) la Cour ne vise que la consultation du Conseil d’Etat sur des actes à caractère normatif. Elle ne prend en revanche nullement parti sur les hypothèses de consultation relatives à des actes non réglementaires, qu’il s’agisse de décisions d’espèces ou d’actes individuels (p. une analyse de ces modalités de consultation v. Y. Gaudemet et alii, Les grands avis du Conseil d’Etat, Dalloz 2002, 2e ed., p. 26).



Dès lors de trois choses l’une.



- Ou bien la Cour a fait masse, sans le dire, de toutes les hypothèses de consultation du Conseil d’Etat ;

- Ou bien elle a volontairement, quoiqu’implicitement, exclu cette catégorie de consultations ;

- Ou bien encore elle a estimé que la question ne se posait pas et n’a pas statué sur cette question.



Nous ne pouvons que laisser cette question ouverte, à ce stade de l’analyse, mais nous aurons à y revenir, u peu plus loin, lorsqu’il conviendra d’examiner ce que la Cour entend par « même question », soumise à l’organe consultatif et à l’organe juridictionnel.



II : Les conditions du contrôle concret de l’exercice du dualisme fonctionnel du Conseil d’Etat.



Il est commode, pour tenter de procéder à l’analyse de la jurisprudence sur ce point, de diviser les développements en deux points : le contrôle sur « les actes » et le contrôle sur les « personnes ».



1°) le contrôle sur les « actes ».



La Cour, dans l’arrêt Kleyn précité, a posé un critère simple : pour que l’impartialité du juge puisse être remise en cause, il faut qu’il ait eu à examiner « la même affaire » ou « la même décision ». Le présent arrêt reprend ce critère, et le fait avec une méthode d’analyse très proche reposant sur la distinction entre le « général » et le « particulier ». En substance, la Cour pose que le fait d’avoir donné une appréciation consultative sur l’élaboration (arrêt Kleyn) ou la mise en œuvre générale (arrêt Sacilor) d’une procédure, n’est pas la même « affaire » ou « décision » que se statuer sur une hypothèse particulière de mise en œuvre de cette procédure.



Si cette proposition est globalement exacte, elle laisse toutefois persister des zones d’interrogations.



La première concerne le cas dans lequel le requérant conteste par voie d’action ou d’exception, la légalité de la règle de droit mise en œuvre. Ainsi, si le Conseil d’Etat a rendu un avis favorable sur la légalité d’un décret réglementaire, peut-on ensuite considérer que le recours direct contre ce décret ou l’exception d’illégalité du décret soulevée dans le cadre d’un litige individuel constitue une question distincte ? Nous avons pour notre quelque difficulté à l’admettre : si une personne s’est persuadé, au cours d’une instance consultative, qu’un décret ne méconnaissait aucune norme supérieure, il est peu probable qu’au contentieux il sera en mesure de se défaire facilement de ce préjugé. D’ailleurs la Cour semble avoir déjà envisagé de cas de figure dans la décision Mc Gonnel (CEDH 8 février 2000, rec. 2000-II), dans le sens de la méconnaissance des exigences de l’article 6.



On observera d’ailleurs que la question peut se poser y compris en ce qui concerne la consultation sur des projets de loi en application de l’article 39 de la Constitution : si le juge est saisi d’une « exception d’inconventionnalité » dirigée contre ce texte, il ne serait pas absurde de considérer qu’il s’agit de la « même affaire » que celle qui lui a été soumise à titre consultatif. En effet, on le sait, dans le cadre de cette procédure, le Conseil d’Etat est amené à examiner la conventionnalité de la loi (Grands avis, op. cit. p. 39).



La seconde, que nous avons déjà esquissé, concerne les hypothèses de consultation du Conseil d’Etat sur des décisions non réglementaires. Cette fois, il paraît vraiment difficile d’admettre que l’avis donné sur une telle décision peut être regardé comme une « décision » ou une « question » distincte de celle posée au contentieux de la légalité de la même décision. Dans ces conditions, il semble qu’à tout le moins cette partie de la fonction consultative du Conseil d’Etat semble nettement entrer dans le champ d’application de la prohibition posée par la Cour EDH.



2°) le contrôle sur les personnes



L’arrêt commenté estime qu’en l’espèce le Conseil d’Etat organe consultatif et le Conseil d’Etat juge administratif n’avaient pas été saisis de la « même affaire ou décision ». De sorte qu’une des conditions n’étant pas remplie, il n’y avait évidemment pas lieu de s’interroger sur le point de savoir si elle avait été examinée par les mêmes personnes.



La question demeure donc en suspens, de la même manière que dans l’arrêt Kleyn, puisque la non plus l’identité matérielle n’avait pas été reconnue. Aussi bien, le commentateur doit-il se muer à ce stade, et pour quelques lignes, en pronostiqueur, de ce que pourrait être la position de la Cour sur cette question.



La question essentielle qui se pose à cet égard, et on nous pardonnera la métaphore médicale dont nous userons pour la décrire, est celle de la « contamination ». Contamination au sein de la formation consultative, contamination au sein de la formation contentieuse.



a) Sur les membres de la formation consultative.



Tout d’abord, est-ce que tous les membres de la formation consultative sont susceptibles d’être engagés dans la problématique du pré-jugement, de nature à affecter l’impartialité de la juridiction ?



Rappelons d’abord quelques faits historiques.



Au premier chef, il faut souligner que le droit interne s’est préoccupé, bien avant le droit européen de cette question. On trouve ainsi dans la grande loi de 1872 portant réorganisation du Conseil d'État un article 20 ainsi rédigé : “les membres du Conseil d'État ne peuvent participer au jugement des recours dirigés contre les décisions qui ont été préparées par les sections auxquelles ils appartiennent, s'ils ont pris part à la délibération”. Cet article n’est d’ailleurs qu’une reprise des textes antérieurs et en particulier de l’ordonnance de 1831. C’est donc bien que dès le XIXe siècle, il a été admis que l’examen en formation consultative empêchait ensuite d’en connaître au contentieux. Il est vrai qu’un auteur a indiqué que « ce texte était interprété comme visant le rapporteur du projet uniquement » (P. Fombeur, J.-Cl. Justice administrative, op. cit. § 41). Mais en réalité, lorsque l’on remonte aux sources de la règle (v. not. A. Batbie, Traité Théorique et pratique de droit administratif ; T. 7 Cotillon 1868, p. 486), les choses sont plus complexes : l’exclusion ne vise pas uniquement mais bien tous les membres de la section administrative. En revanche, l’auteur laisse entendre que les membres de la section administrative siègent (ou assistent à la séance) mais sans voie délibérative.



Ces dispositions n’ont pas été reprises dans l’ordonnance de 1945 sur le Conseil d’Etat (et semblent avoir déjà abrogées par la loi du 18 janvier 1944) pour des raisons qui ne nous apparaissent pas clairement, sinon peut-être la moindre préoccupation des exigences d’impartialité héritières de problématique du XIXe siècle, dans le contexte d’une administration dirigiste et technocratique (notons d’ailleurs que M. Waline soulignait dans l’édition de 1946 de son manuel que le cumul de fonctions administratives et juridictionnelles ainsi institué « n’est pas très heureux », M. Waline, Manuel élémentaire de droit administratif, 3e ed. Sirey 1946, p. 65).



L’influence de l’histoire se manifeste nettement sur le droit positif.



Dans un premier temps, le reflux des exigences a été poursuivi, cristallisé notamment dans l’arrêt CE, sect., 25 janv. 1980, Gadiaga (Rec. CE, p. 44 ; concl. contraires M. Rougevin-Baville ; AJDA 1980, p. 282, chron. Y. Robineau et M.-A. Feffer) qui a jugé qu’un membre de Tribunal administratif avait pu légalement donner un avis puis statuer sur la légalité de même décision.



Toutefois, sous l’influence de la jurisprudence de la Cour, une nouvelle prise de conscience s’est opérée dans la jurisprudence administrative. D’abord de manière elliptique dans l’arrêt de 1996 Syndicat des avocats de France (CE Sect. 5 avril 1996, Rec. CE, p. 119 ; RFD adm. 1996, p. 1195, concl. J.-C. Bonichot), puisqu’il faut lire les conclusions du commissaire pour comprendre que la question est évoquée. Ensuite de manière plus nette par la Cour administrative d’appel de Paris (CAA Paris, 23 mars 1999, Sarran, req. n° 97PA0245 : AJDA 1999, p. 623, note M. Chauchat ; Procédure 1999, comm. n° 217).



Et désormais, la doctrine interne du Conseil d’Etat pose en règle l’incompatibilité individuelle des fonctions consultative et juridictionnelle, du moins pour le rapporteur du texte en section administrative (v. not. C. Landais et F. Lenica, la réception de la jurisprudence de la CEDH par le Conseil d’Etat, DA juin 2005, étude n° 10).



La position actuellement retenue par le Conseil d’Etat est-elle pour autant conforme à la logique de la jurisprudence de la Cour ? Nous avons la faiblesse de ne pas le croire. Et pour cela nous disposons d’une solution issue du Conseil d’Etat lui-même, dans le célèbre arrêt Labor Métal : le fait que la Cour des comptes ait adopté en assemblée générale un avis empêche que quelque formation que ce soit de la Cour statue ensuite sur les faits qui ont justifié le prononcé de l’avis. Aussi bien, ici ce sont bien tous les membres de la Cour des comptes qui ont voté (et donc délibéré) qui sont saisis par l’impossibilité de siéger au contentieux. Et il nous semble qu’au fond cette solution est la seule réaliste car il est difficile d’admettre qu’il est existe des degrés d’intensité variable dans la prise de décision consultative : un rapporteur qui aurait « vraiment » pris parti, et des membres délibérants qui auraient « juste voté », mais sans avoir prêté suffisamment d’importance à leur vote et à la question pour qu’ils puissent être regardés comme ayant déjà préjugé de l’affaire. Aussi bien l’éthique professionnelle que le principe de responsabilité des fonctionnaires interdisent d’admettre pareille solution.



Dès lors, il faut croire que seule une abstention de siéger de tous les membres consultés est propre à satisfaire la logique de la jurisprudence de la Cour qui se trouve d’ailleurs être également celle du Conseil d’Etat lorsqu’il statue sur la procédure de la Cour des comptes.



b) sur les membres de la formation juridictionnelle.



La question doit être ici posée en négatif de la précédente : est-ce que la présence d’un seul membre dont l’impartialité objective n’est pas acquise suffit à méconnaître les règles du procès équitable.



Pour une fois, la réponse n’est pas douteuse. Le Conseil d'Etat juge de très longue date que la partialité d’un membre de la formation de jugement suffit à rendre le jugement irrégulier (CE, 8 juill. 1897, Élect. Saint-André-de-Tallano [Corse] ; Rec. CE, p. 527) et le présent arrêt conduit au même constat : la Cour ne conteste la présence que d’un seul membre de la formation de jugement, pour un motif différent d’ailleurs, mais ce seul constat suffit à méconnaître les prescriptions de l’article 6 de la convention.



Dans ces conditions, les spéculations faites à propos de l’arrêt Procola, dans lequel la Cour avait censuré à raison d’un cumul de fonctions commis par 4 membres de la formation juridictionnelle sur 5 n’ont pas lieu d’être : la quantité n’ajoute rien ici. Le requérant a droit à une formation de jugement entièrement impartiale. D’abord parce qu’il ne peut pas y avaoir de « taux de partialité consenti », ensuite parce que le secret du délibéré empêche de déterminer si la voix du juge non impartial a pu ou non avoir une incidence sur le sens de la décision.



c) incidence sur le fonctionnement du Conseil d'Etat



Il est clair que les analyses qui viennent d’être faites emportent, sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil d’Etat des conséquences lourdes, et que celui-ci jusqu’à présent a refusé de mesurer dans leur pleine ampleur.



Se pose naturellement au premier chef la question de la composition de l’assemblée du contentieux lorsqu’elle est amenée à statuer sur la légalité d’un décret pris en Conseil d'Etat ou après avis du Conseil d’Etat ou sur toute autre décision prise après consultation du Conseil d’Etat. Si l’avis a été délibéré en section administrative, le problème est déjà significatif. S’il a été délibéré en assemblée générale, il devient presque insoluble. La seule solution, à dire vrai reviendrait à en ce cas à confier la connaissance de ce type de recours à la Section du contentieux à la condition toutefois que les membres de cette formation n’aient point siégé au cours de l’assemblée générale ce qui n’est toujours pas très évident.



Dans les formations de jugement plus modestes, et particulier les sous-sections réunies, l’incidence serait beaucoup plus facile à limiter dans la mesure où la mise à l’écart des membres des sections administratives ayant connu de l’affaire ne concerne qu’un nombre très limité de la formation.



De ces difficultés pourrait également résulter une solution d’une incidence plus large qui conduirait à remettre en cause la règle de la « double appartenance simultanée » à une section administrative et à la section du contentieux. Après tout, cette règle a déjà connu de nombreuses vicissitudes et l’on pourrait admettre que si la double appartenance successive doit être maintenue, la double appartenance simultanée pourrait être écartée.



III : D’un dualisme fonctionnel l’autre : du dualisme fonctionnel structurel au dualisme fonctionnel personnel.



Qu’on nous pardonne le jeu de mots assez médiocre de ce titre d’autant qu’il obscurcit quelque peu les notions. Il n’en reste pas moins que l’arrêt commenté est particulièrement marquant par le fait que tout en écartant la méconnaissance de l’article 6 à raison du dualisme fonctionnel du Conseil d’Etat, il censure sur un autre fondement : le manque d’impartialité objective d’un membre du Conseil d’Etat en passe d’être nommé dans le département ministériel opposé au requérant. Ce n’est plus ici le dualisme structurel de l’institution qui est donc visé, mais celui individuel de ses membres, dont la vocation à occuper des fonctions dans l’administration active est un des principes les mieux ancrés, sinon dans les textes, du moins dans la réalité de l’activité administrative. On peut même dire que l’idée qu’un juge administratif doit avoir été ou doit devenir administrateur est un des piliers de la justification même d’une juridiction administrative spéciale.



Le raisonnement de la Cour s’appuie sur une double prémice.



Tout d’abord, et ce point mérite d’être souligné, est validé le fait que les membres du Conseil d'Etat, malgré le fait qu’ils ne disposent pas de la qualité de magistrat, sont dotées de garanties statutaires équivalentes, de sorte que leur qualité de « magistrat », autrement dit de « juge d’un tribunal » au sens de la jurisprudence de la Cour EDH ne peut être remise en cause (§ 66 et 67 de l’arrêt).

Ensuite, la Cour admet également qu’un membre du Conseil d’Etat puisse être amené à exercer des fonctions dans l’administration active (c’est ce qu’il faut entendre par le fait que la Cour ne porte pas d’appréciation sur le « déroulement de carrière » des membres du Conseil d’Etat, § 68 de l’arrêt).



Mais, ces deux points étant acquis, la Cour constate qu’un des membres de la formation de jugement « était en pourparlers » avec l’administration qui était défenderesse dans les requêtes soumises au Conseil d'Etat, pour l’obtention d’un emploi dans cette administration et elle en déduit qu’il existait donc un doute sur l’impartialité objective de cette personne.



Cette solution est à la fois très proche et très lointaine de la jurisprudence et de la pratique du Conseil d'Etat en la matière.



Très proche car il a toujours été admis qu’un membre de l’institution qui avait connu de l’affaire dans l’exercice de ses fonctions actives devait se déporter et ne pas siéger dans la formation de jugement, qu’il ait pris la décision (v. le rappel de la jurisprudence et des pratique par P. Fombeur, op. cit. loc. cit.).



Très lointaine cependant pace que la solution retenue par la Cour se situe dans une autre perspective : il ne s’agit plus ici d’avoir concouru à la décision ou donné un avis sur celle-ci, mais bel et bien d’être en situation d’être sous l’influence de l’administration défenderesse. En d’autres termes, la circonstance qui fait douter de l’impartialité n’est pas liée à une prise de position juridique mais à une mise sous influence personnelle.



Cela signifie, implicitement, que la Cour juge que les membres du Conseil d’Etat sont comme tous les autres hommes : lorsqu’ils discutent de l’obtention d’un emploi ils sont mus par des objectifs personnels de carrière, et non seulement par une préoccupation de service public qui autoriserait leur circulation entre leur institution de rattachement et l’administration active, sans considération subjective d’aucune sorte.



La portée théorique de cette affirmation est d’importance, on le mesure, mais sa portée pratique risque de l’être également. Qu’on y songe.



Tout d’abord, à l’occasion de la constitution des cabinets ministériels, après la formation de nouveaux gouvernements ? Chacun sait que les stratégies passives ne sont pas forcément les meilleures et que pour être nommé dans un cabinet, il faut en avoir manifesté assez nettement le désir. Il y a ici un risque sérieux que le Conseil d'Etat ne s’en trouve désorganisé, dès lors que cette période préalable pourrait sans trop de doute être qualifiée de « pourparlers ».



Ensuite, et de manière plus générale, des membres du Conseil d'Etat pourraient être amenés à « dévoiler leurs batteries », plutôt qu’ils ne le font habituellement, pour refuser de siéger dans telle ou telle affaire, parce qu’ils sont en pourparlers avec l’administration défenderesse, alors même que la décision n’est pas prise. Il est évident que là encore, se produiront des situation très délicates.


Conclusion.

Au terme de ces analyses, force est de constater que l’arrêt commenté loin d’avoir les vertus rassurantes qu’on serait tenté de lui prêter, est peut-être en train d’ouvrir un nouveau front dans les relations complexes qu’entretient la Cour EDH avec le Conseil d'Etat. On attend désormais, la réponse de ce dernier, même si il a déjà eu l’occasion de souligner son désaccord par la voix de son ancien Vice-président, M. Marceau Long, qui a siégé comme juge ad hoc dans cette affaire et qui a corédigé une opinion dissidente dubitative sur la solution adoptée.