Arrêt Malige contre France 23/09/1998 CEDH

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Bonjour
Je suis en deuxième année de droit et dans le cadre du droit de la peine j'ai eu à travailler sur l'arrêt Malige contre France rendu par la cour EDH le 23 septembre 1998

J'ai eu une correction de TD qui laisse beaucoup de grandes interrogations au sujet de la portée et du sens de cette décision (en fait je n'ai pas compris grand chose...)

bref j'ai retenu qu'après avoir usé de toutes les voies de recours en droit interne (dans le cadre d'un recours pour illégalité contre le décret organisant le permis à point) M.Malige a entamé une procédure devant la cour EDH

Le gouvernement a justifié de cette mesure en précisant qu'elle n'avait pas un but de sanction mais de sécurité, de prévention (ici je suppose qu'il se protège d'une attaque tenant au caractère restrictif de liberté que pourrait avoir le décret visé et donc d'un abus de son pouvoir règlementaire lui-même limité aux peines privatives de libertés) bref déjà la je doute donc n'hésitez pas à m'éclairer !


Le gouvernement précise aussi que ce n'est pas une peine mais une mesure de police administrative (ici on l'a bien rappelé dans notre td mais je ne comprends pas l'intérêt de la chose...)


Sinon après il nous renvoie à un raisonnement de la cour edh qui tiendrait donc en trois parties relatives à :

l'examen de la qualification de l'infraction (ici il parle de la réunion des 3 critères hengel)

la nature de l'infraction (ici il parle de l'arrêt cambell et Fell qui si j'ai bien compris permet de distinguer des sanctions non pénales qui sanctionnent une catégorie d'individus commas les militaires ou les détenus) des sanctions pénales

et enfin de la nature de la sanction 'pécuniaire/ privation de droit/ privation de liberté)


A la fin on voit que ces critères ne sont pas cumulatifs, que l'un d'entre eux seuls suffit (mais a quoi donc enfin ? )
On voit aussi que si plusieurs de ces critères sont partiellement remplis alors ils suffisent (a quoi donc encore une fois ?)

Le problème vous l'aurez compris est que dans la précipitation de la prise de note j'ai manqué d'attention et raté un détail fondamental, l'intérêt des critères et donc je ne comprends absolument pas la portée de cet arrêt !


Se serait vraiment aimable à vous de m'aider à comprendre les grandes lignes de cet arrêt qui est très long, vraiment pas facile à comprendre quand on fait du droit de la peine depuis peu, et qui est à mon sens très mal commenté sur internet (j'ai fait des recherches mais sans grand succès, je vais consulter des manuels lundi dès l'ouverture de la bibliothèque.)

Je vous remercie de votre attention, respectueusement vôtre

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Bonjour,
Je trouve qu'en L2, c'est un peu tot pour faire du droit de la CEDH, mais bon...

L'arret Malige s'inscrit dans le cadre du droit au procès équitable de l'article 6-1 CEDH, dont vous avez surement entendu parlé.
Or, cet article ne s'applique que lorsque sont en cause, soit la matière civile, soit la matière pénale.
Vous comprenez alors que l'intéret de la chose consiste à qualifier la matière en cause, ici le retrait de points sur un permis si je ne m'abuse ?

Ainsi le gouvernement a t-il tout intéret à qualifier la matière d'administrative, pour qu'elle échappe au 6-1 : c'est pourquoi il dit que c'est une mesure de police, qui n'est pas (au moins) encadrée par le droit au procès équitable. Pour la définition d'une mesure de police, je vous renvoie à votre cours de strat !

Et la Cour EDH de dire que non non non, c'est de la matière pénale au sens de la Convention, et ainsi d'appliquer l'article 6-1: pour qualifier cette "matière pénale", de manière habituelle la Cour, comme toute juridiction, utilise la méthode du faisceau d'indice, ici trois indices:
-la qualification retenue dans la législation nationale elle-même (premier pas indicatif pour qualifier);
-la nature de l'infraction (qui commet, où, comment ? etc.)
-les sanctions retenues.

S'il ressort de toute cela qu'on a véritablement des sanctions, dans un cadre fortement pénal, alors on aura bien la fameuse "matière pénale" et là la Cour pourra appliquer le 6-1. La tendance de la Cour EDH est bien sur d'élargir au maximum le spectre de cet article: elle utilise, d'une manière générale, et pour donner une interprétation "active" à la convention, la technique des "concepts autonomes": ce sont les définitions au sens européen de concepts juridiques (qu'est ce qu'un bien ? Qu'est ce que la matière pénale ? etc.) dans le but d'une application uniforme, et surtout efficace (que les Etats ne puissent pas opposer leurs propres définitions pour écarter l'application de la Convention: cf. l'arret Malige :) )

J'espère que je vous ai aidé, mais ne vous inquiétez pas, le droit de la CEDH c'est compliqué, et tout n'est pas toujours limpide, surtout quand on ne maitrise pas un minimum le droit interne, ce qui, au bout de 3 semestres de droit seulement, reste relativement compliqué. :)

Thibault

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Master Droit public des affaires Lyon 3

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Un grand merci pour avoir répondu avec tant de précisions ! Je comprends à présent mieux l'intérêt de cet arrêt dans l'étude de la notion de peine et n'aurait plus peur de l'utiliser pour montrer quels sont les critères de la qualification d'une sanction en matière pénale d'après cet arrêt (objectif du td pré-cité).

Bonne continuation.

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Camille Intervenant

Bonjour,
A noter quand même que le "coup de la nature de la sanction" n'était pas directement le but de la manoeuvre, ce n'était qu'un moyen à double détente...
Sauf que la CEDH a dit oui à la première détente (Applicabilité de l’article 6 § 1), celle décrite ci-dessus, mais a dit non à la deuxième (Observation de l’article 6 § 1)...
Donc M. Malige a bel et bien définitivement perdu ses points à la suite de cet arrêt.


Petit détail au passage. A l'époque, il fallait "actionner" la (aujourd'hui défunte) Commission européenne des droits de l'homme (Conseil de l'Europe), laquelle refilait le bébé à la CEDH si la demande était admise et, du coup, la CEDH a "invité" M. Malige à "participer à l'instance".

1. L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 9 juillet 1997...
(...)
2. En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 § 3 d) du règlement A, le requérant a exprimé le désir de participer à l’instance et a désigné son conseil (article 30).

Conseil d'ailleurs bien connu dans le milieu des avocats spécialisés dans les histoires de bagnoles...

Aujourd'hui, on peut saisir directement la CEDH.

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Hors Concours

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Bonjour,

Je vais essayer de vous faire une analyse (sans prétention) des enjeux de l’arrêt Malige

L’arrêt Malige de la CEDH s’inscrit dans le cadre d’un débat franco-français (affrontement entre la cour de cassation et le Conseil d’Etat) sur la question de la modulation des sanctions par les juridictions.
La question centrale est la suivante : quelle est l’étendu du plein contrôle du juge lorsqu’il est confronté à une sanction revêtant un caractère pénal au sens de l’article 6 de la CEDH ?

Pour la cour de cassation : Cour de cas. (arrêt ferreira 1997) : le contrôle de pleine juridiction doit s’étendre non seulement à la qualification de la sanction (sanction à caractère de punition ou sanction réparation) mais aussi au contrôle de la proportionnalité de la sanction au comportement : la cour de cassation accepte donc de moduler la sanction (arrêt situé avant l’arrêt Malige)

Pour le conseil d’Etat : depuis les avis Houdmond (1996) et Fattel (1998), le CE se contente d’un contrôle de pleine juridiction que pour contrôler la qualification de la sanction pour ce qui concerne le principe de proportionnalité l’exigence est satisfaite dés lors que le législateur prévoit une échelle de sanction.

L’arrêt Malige (rendus le même jour qu’un arrêt Taddei c/ France relatif aux sanctions fiscales) interprète le principe de proportionnalité dans un sens favorable au CE,
Le principe de proportionnalité n’est pas méconnu dés lors que le législateur a prévus une échelle de sanction.

« La loi elle même à prévu dans une certaine mesure la modulation du retrait de point en fonction de la gravité de la contravention commise par le prévenu. (…)
La cour estime donc qu’un contrôle suffisant au regard de l’article 6 se trouve incorporé dans la décision pénale de condamnation prononcé à l’encontre de M. Maligne, sans qu’il soit nécessaire de disposer d’un contrôle séparé de pleine juridiction portant sur le retrait de points ».

Le conseil constitutionnel dans 2 décisions QPC vient enchérir le débat :

Décision QPC 2011 : le juge n’a pas l’obligation de moduler dés lors que le législateur prévoit une échelle de sanction.

Décision QPC du 12 février 2012 ( !!) : le juge constitutionnel dégage une obligation pour le juge d’opérer un contrôle de proportionnalité de la sanction : une obligation d’opérer un contrôle de pleine juridiction sur la sanction et donc si besoin de la moduler semble être dégagée (à vérifier car j’ai vraiment lu la décision en diagonale)

Voilà si ça peut aider

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(désolé pour le double post)

En ce qui concerne la question de la qualification d'accusation en matière pénale, si malige reprend les méthodes des critéres alternatif "engel" (Engel c/ Pays-bas 1976) et des indices "bendemoun" (Bendemoun c/ France 1994), il n'apporte strictement rien au raisonnement et ne fait qu'appliquer la méthode dégagée par la jurisprudence antérieur sur ce point (que je peut m'essayer à expliciter si besoin)

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Je viens de voir sur ma boite mail que vous aviez répondu et je vous remercie pour votre réponse elle-aussi très complète et riche d'informations, pour ce qui est des critères de la qualification en matière pénale j'ai bien compris les critères issus de Hengel par contre je n'ai pas vu "Bendemoun" donc ça ne m'est pas très évocateur ...