Un préposé peut-il être gardien d'une chose ?

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Messieurs dames...

Je me suis demandé, sans trop trouver de réponse, si le préposé pouvait être responsable du fait d'une chose dont il avait la garde, mais dont le dommage a été provoqué dans l'exercice des fonctions de ce préposé.

Je sais que le préposé qui conduit une voiture de fonction n'en est pas le gardien, que c'est le commettant qui l'est. Mais dans ce cas, il s'agit du régime particulier de la loi de 1985 relative aux accidents de la circulation.

Au contraire, qualifier un enfant en bas âge de responsable d'une chose par application classique des critère de la garde (usage, contrôle, direction) n'a pas posé de problème à la jurisprudence (AP Gabillet 1984²).

Il semble donc que dans certaines situations, l'irresponsable de son fait propre ne puisse pas être gardien, précisément en raison de cette irresponsabilité, mais que dans d'autres cas, cela ne pose pas problème.

Ben, du coup, j'ai plusieurs questions : d'abord, est-ce que la qualité de préposé est compatible avec celle de gardien ?
Ensuite, de manière plus générale, le responsable d'autrui est-il aussi responsable du fait des choses d'autrui ? Y a-t-il une logique cohérente sur ce point, ou faut-il considérer que chaque régime est particulier et a sa propre logique ?

Merci à ceux qui auront le courage de déchiffrer ce casse-tête ! J'attends vos réponses ! (svp :p)

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Camille Intervenant

Bonjour,
est-ce que la qualité de préposé est compatible avec celle de gardien ?


Arrêt récent à éplucher :
Cour de cassation
chambre civile 2
Audience publique du jeudi 12 avril 2012
N° de pourvoi: 10-20831 10-21094
(...)
Attendu
que la GMF fait grief à l'arrêt de la condamner in solidum avec M. Z...et l'association à indemniser M. X... de son préjudice,

alors, selon le moyen :
1°/ que le préposé n'a pas la garde des choses qu'il utilise pour le compte de son commettant ; qu'à défaut d'avoir recherché, comme elle y était invitée, si la qualité de préposé pouvait être attribuée à M. Z..., ce qui excluait sa qualité de gardien, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384 du code civil ;

2°/ que le locataire est présumé gardien de la chose ;

qu'en ayant retenu que M. Z...était gardien du navire, sans avoir recherché, comme elle y était invitée, si l'association, locataire du navire, lui en avait transféré la garde, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1384 du code civil ;

Mais attendu
que l'arrêt retient qu'au moment de l'accident, M. Z...assumait les fonctions de skipper et manoeuvrait la barre et qu'il a été à l'origine de la manoeuvre d'empannage et du mouvement du palan ;

que l'exercice de cette fonction et la réalisation des manoeuvres, dont il a pris seul la décision, faisait de lui, conformément aux usages et aux règles applicables en matière de course en mer, le gardien exclusif du voilier en tant que commandant de bord ;

Que de ces seuls motifs, la cour d'appel, répondant par là même aux conclusions, et sans être tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, ni de procéder à une recherche que ses constatations n'appelaient pas, a exactement déduit qu'au moment de l'accident, M. Z...exerçait seul sur le navire les pouvoirs d'usage, de contrôle et de direction qui caractérisent la garde de la chose ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;


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Salut Camille,

En l'occurrence, l'arrêt précise bien que la qualification du préposé en tant que gardien du voilier repose sur les "usages et règles applicables en matière de course en mer".
Ce serait donc parce qu'on se trouve dans le domaine particulier du droit maritime que la présomption de la garde par le commettant est écartée.

En revanche :

ayant retenu que M. Z...était gardien du navire, sans avoir recherché, comme elle y était invitée, si l'association, locataire du navire, lui en avait transféré la garde

Là, j'apprends qu'il y aurait un possible transfert de la garde de la chose par le commettant à son préposé.
En savez-vous plus sur ce point ?

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Camille Intervenant

Bonjour,
Ben... vous avez lu, comme moi...
Que de ces seuls motifs, la cour d'appel, répondant par là même aux conclusions, et sans être tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, ni de procéder à une recherche que ses constatations n'appelaient pas, a exactement déduit qu'au moment de l'accident, M. Z...exerçait seul sur le navire les pouvoirs d'usage, de contrôle et de direction qui caractérisent la garde de la chose


Ce serait donc parce qu'on se trouve dans le domaine particulier du droit maritime que la présomption de la garde par le commettant est écartée.
Je ne pense pas. Ou alors, au fil de vos lectures d'arrêts de la Cour de cassation sur le sujet du 1384 alinéa 5 sur le couple commettants/préposés, vous allez "empiler" les particularités (chauffeur d'autocar, de poids lourds, de machines de chantier, etc)...

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marianne76 Modérateur

Bonsoir,
Je confirme ce qu'indique Camille. Il s'agit d'une jurisprudence particulièrement stable. Un préposé ne peut être gardien. Il n'a pas d'autonomie par rapport à la chose puisqu'il agit en état de subordination. le préposé peut donc avoir l'usage de la chose, le contrôle de la chose mais pas la direction, il ne peut dès lors être gardien

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Merci de lire et de respecter la charte du forum http://www.juristudiant.com/forum/charte-de-bonne-conduite-a-lire-avant-de-poster-t11.html

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Bonsoir,
Donc si je comprends bien le raisonnement de l'arrêt cité en exemple, le juge a écarté la qualité de préposé du skipper (qualité que soutient le demandeur) afin de retenir la qualité de gardien :

l'exercice de cette fonction et la réalisation des manoeuvres, dont il a pris seul la décision, faisait de lui... le gardien exclusif du voilier en tant que commandant de bord ;

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marianne76 Modérateur

C'est à dire qu'ici à mon avis la question du préposé ne se posait pas , le skipper était membre d'une association et participait à une régate organisée par cette dernière. On voit bien qu'il n'y a pas de lien de préposition (avec qui d'ailleurs ). Donc ici on vérifie si la personne a bien les pouvoirs d'usage de direction et de contrôle et la Cour arrive à cette conclusion qu'en tant que skipper il était maître des manoeuvres et prenait les décisions seul, il avait donc l'usage la direction et le contrôle, il est bien le gardien

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Camille Intervenant

Bonsoir,
le skipper était membre d'une association et participait à une régate organisée par cette dernière.
Euh... pas exactement, si on relit bien...

En décortiquant tranquillement, ça donne...

M. Z... = membre de l'association Navi-Club RATP, skipper du voilier "Pti Jules", participant à une régate organisée par l'association Promovoile 93
MAIF = assureur de l'association Promovoile 93, organisatrice de la fameuse régate.
GMF = assureur de l'association Navi-Club RATP, qui n'était pas du tout l'organisatrice de la régate mais la locataire en titre du navire "Pti Jules"
M. X... = membre de l'association Navi-Club RATP, participant à une régate organisée par l'association Promovoile 93 sur le voilier "Pti Jules" en tant que membre d'équipage et qui s'est pris un coup de bôme au cours d'une manœuvre d'empannage, commandée par M. Z...

Or, très curieusement, ce n'est pas M. Z... qui "fait grief", ni même l'association Navi-Club RATP, et pas non plus l'association Promovoile 93, mais... la GMF ! L'assureur de l'association Navi-Club RATP donc.
Elle fait grief de quoi ? De l'avoir condamnée in solidum avec M. Z... et l'association...
Et son moyen de pourvoi est quand même assez étrange puisqu'elle tente d'accréditer le fait que M. Z... était tout ce qu'on veut sauf le gardien de la chose !
Ce qui, selon la doctrine, aurait dû la rendre encore plus responsable, puisque étant l'assureur de l'association...

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depuis la jurisprudence cousin de 2005, on ne prend plus en compte l'autorisation du commettant du moment où la faute a été commisedans le lieu de travail. c'était à propos se la responsabilité du préposé gardien.
donc si on devait se poser la question de savoir quel est l'étendu de la responsabilité du préposé qui use de la chose de son commettant, on pourrait s'attarder sur l'immunité de principe du préposé gardien. càd parler de l'existence d'un rapport d'autorité entre le préposé et le commettant mais aussi de la responsabilité du commettant du fait de l'acte dommageable de son préposé. pourrait peut être devenir interessant de parler de la responsabilité cumulative du commettant et du préposé en montrant qu'il y a l'exigence d'une faute personnelle du préposé et de la mise en oeuvre du cumul.

Publié par
Camille Intervenant

Bonjour,
et de la mise en oeuvre du cumul
Pas du "cumul" mais de la ... "solidarité".
Ce qui est assez curieux, c'est que dans l'esprit de beaucoup, la responsabilité de l'un exclurait automatiquement la responsabilité de l'autre et vice-versa, en vertu de l'article 1384.
Article 1384 Code civil Alinéa 1er

On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde.

Soit ce serait le préposé du commettant, du fait qu'il serait gardien de la chose et alors pas celle du commettant, soit ce serait le commettant du préposé, du fait des personnes dont on doit répondre en tant que commettant - ou encore parce que considéré comme restant le gardien réel de la chose - et alors pas celle du préposé.

Alors que l'article 1384 dit exactement :
Article 1384 Code civil Alinéas 4, 5 et 6

Le père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux.

Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ;

Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu'ils sont sous leur surveillance.

Ce qui ne peut se traduire que par :
Article 1384 Code civil Alinéas 4, 5 et 6 façon Camille

Le père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux.

Les maîtres et les commettants, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ;

Les instituteurs et les artisans, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu'ils sont sous leur surveillance.

Et curieusement, tout le monde ou presque semble oublier la présence de l'adverbe "solidairement", qui a pourtant un sens bien précis, ou l'interprète comme "père et mère solidairement responsables entre eux", ce qui n'est clairement pas le sens de cet article.
D'où l'étonnement des uns et des autres quand, parfois, l'enfant mineur ou le préposé ou l'élève ou l'apprenti est reconnu responsable civil... mais en examinant l'arrêt en question, on constate souvent la mention "solidairement" ou "in solidum" quelque part, que beaucoup "zappent" allègrement.
C'est le cas de l'arrêt cité ci-dessus : "condamnée in solidum avec M.Z... et l'association... locataire du navire".
Donc ici, condamnés "in solidum" :
- La GMF en tant qu'assureur de l'association et du navire
- L'association, en tant que locataire du navire et commettant de M. Z...
- M. Z... en tant que gardien de la chose, le navire donc.

On notera, au passage, les derniers alinéas qui permettent une certaine décharge de responsabilité :
La responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les père et mère et les artisans ne prouvent qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité.

En ce qui concerne les instituteurs, les fautes, imprudences ou négligences invoquées contre eux comme ayant causé le fait dommageable, devront être prouvées, conformément au droit commun, par le demandeur, à l'instance.

Donc, les père et mère, les artisans et les instituteurs.
Mais on notera que l'article n'a rien prévu de la même nature pour les maîtres et commettants...

Il n'en reste pas moins qu'on a un peu de mal à comprendre le raisonnement de la GMF, qui a l'air de "rouler" pour M. X... quand on lit son (ses) moyen(s), alors que si elle avait raison, elle ne serait pas "dédouanée" pour autant, puisque étant l'assureur du commettant. Mais, si on regarde de très près, son raisonnement est - à mon humble avis - bien plus vicieux que ça...
Vicieux mais vicié, selon la Cour !
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