Strasboug 2006, examen d'entrée à  l'ERAGE - commentaire de CE, 24 mai 2006

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Strasbourg 2006, examen d'entrée à  l'ERAGE

Commentez l'arrêt du Conseil d'Etat du 24 mai 2006.

Conseil d'à‰tat

N° 275087
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
2ème et 7ème sous-sections réunies
M. Stirn, président
Mme Suzanne von Coester, rapporteur
Mme de Silva, commissaire du gouvernement


lecture du mercredi 24 mai 2006
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


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Vu la requête, enregistrée le 10 décembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par Mme Widad A, épouse B, demeurant chez M. ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 10 novembre 2004 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à  l'annulation de l'arrêté du 3 novembre 2004 du préfet de la Savoie décidant sa reconduite à  la frontière ;

2°) d'annuler cet arrêté et d'enjoindre au préfet de la Savoie de réexaminer sa situation ;

3°) de mettre la somme de 3 000 euros à  la charge de l'Etat en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Suzanne von Coester, Maître des Requêtes,

- les conclusions de Mme Isabelle de Silva, Commissaire du gouvernement ;






Sur la légalité externe de l'arrêté de reconduite à  la frontière :

Considérant que l'arrêté du 3 novembre 2004 ordonnant la reconduite à  la frontière de Mme A a été signé par M. Pierre Ravanat, qui avait reçu délégation du préfet de la Savoie le 24 mai 2004 par un arrêté publié au recueil des actes administratifs de la préfecture ; qu'ainsi, il a été signé par une autorité compétente ;

Considérant que l'arrêté du 3 novembre 2004, qui énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde, est suffisamment motivé ;

Sur la légalité interne de l'arrêté de reconduite à  la frontière :

Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, en vigueur à  la date de l'arrêté attaqué : « Le représentant de l'Etat dans le département et, à  Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à  la frontière dans les cas suivants : ... 3° Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà  du délai d'un mois à  compter de la date de notification du refus ou du retrait (...) » ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A, de nationalité marocaine, s'est maintenue sur le territoire français plus d'un mois après la notification, le 11 juin 2004, de la décision du préfet de la Savoie du 8 juin 2004 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et l'invitant à  quitter le territoire ; qu'elle était ainsi dans le cas prévu par les dispositions précitées du 3° du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, o๠le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à  la frontière ;

Considérant qu'aux termes de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, dans sa rédaction issue de la loi du 26 novembre 2003, alors applicable : « Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention ‘‘vie privée et familiale'' est délivrée de plein droit : (...) / 4° A l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant de nationalité française, à  condition que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que la communauté de vie n'ait pas cessé, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à  l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français (...) » ; qu'aux termes de l'avant-dernier alinéa de cet article : « Le renouvellement de la carte de séjour délivrée au titre du 4° ci-dessus est subordonné au fait que la communauté de vie n'ait pas cessé. Toutefois, lorsque la communauté de vie a été rompue à  l'initiative de l'étranger à  raison des violences conjugales qu'il a subies de la part de son conjoint, le préfet ou, à  Paris, le préfet de police, peut accorder le renouvellement du titre » ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à  la date à  laquelle le préfet de la Savoie a pris l'arrêté décidant sa reconduite à  la frontière, Mme A ne remplissait pas la condition de communauté de vie entre époux lui ouvrant droit au renouvellement de sa carte de séjour en qualité de conjoint de ressortissant français ; que, si l'intéressée soutient que la communauté de vie a été rompue à  son initiative en raison des violences qu'elle a subies de la part de son mari, cette circonstance n'est pas, compte tenu des termes de l'article 12 bis précité, de nature à  la faire bénéficier de plein droit du renouvellement de son titre de séjour ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le préfet de la Savoie ne pouvait légalement lui refuser la délivrance d'un titre de séjour sans méconnaître les dispositions précitées doit être écarté ; qu'en l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu notamment de ce que l'intéressée, en France depuis moins de 15 mois à  la date du refus opposé par le préfet, était en instance de divorce, que le préfet aurait inexactement apprécié la situation de l'intéressée en opposant un tel refus ;

Considérant que si Mme A fait valoir qu'elle vit avec sa mère et son frère, tous deux de nationalité française, et que plusieurs membres de sa famille résident régulièrement en France, il ressort des pièces du dossier qu'elle n'est pas dépourvue d'attaches familiales au Maroc, o๠vit notamment son père ; que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de la durée du séjour en France de l'intéressée, et eu égard aux effets d'une mesure de reconduite à  la frontière, l'arrêté en date du 3 novembre 2004 n'a pas porté au droit de celle-ci au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ; que le préfet n'a ainsi ni méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressée ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A n'est pas fondée à  soutenir que c'est à  tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à  l'annulation de l'arrêté du 3 novembre 2004 ordonnant sa reconduite à  la frontière ;

Sur les conclusions à  fins d'injonction :

Considérant que la présente décision, qui rejette la requête de Mme A, n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions tendant à  ce qu'il soit enjoint au préfet de réexaminer la situation de Mme A doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à  l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à  ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse à  Mme A la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme A est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à  Mme Widad A, épouse B, au préfet de la Savoie et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.