Le secret médical au Maroc

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Article posté par Khalès Khalid.

{{Commentaire d'une Ordonnance

LE SECRET MEDICAL}}



Par
Avocat au Barreau de Rabat


Voici l'ordonnance :

Royaume du Maroc
Ministère de la Justice
Tribunal de première instance de Casablanca- Anfa
Dossier des requêtes diverses n° 96/1/2002

Ordonnance désignant un expert
pour effectuer un constat


Nous, Khadija Nejara, vice-présidente du tribunal de première instance de Casablanca-Anfa,
Vu l'article 148 du C.P.C ;
Après avoir lu la requête présentée par Monsieur……, chirurgien, demeurant à â€¦., par le biais de maître….. avocat au Barreau de Casablanca, enregistrée au greffe en date du 3/1/2002, sous le n°381003, visant la désignation d'un expert dont la mission serait :
1°) de se déplacer à  la polyclinique….sise à â€¦
2°) de demander à  l'administration de la clinique de donner à  l'expert :
A) Le registre général propre à  l'équipe chirurgicale dont le demandeur faisait partie depuis le….jusqu'au jour de la consultation du registre ;
B) Les dossiers des patients que le demandeur a opéré en sachant que leurs noms sont inscrits sur le registre général ;
C) Après avoir consulté le registre et les dossiers , procéder à  un tri de toutes les opérations effectuées par le demandeur durant la période indiquée que son nom soit cité sous le diminutif « K » au côté du docteur…ou écrit en entier ; en précisant :
a) Le nom et la date de chaque opération
b) Le nombre de points « k » propre à  chaque opération ;
c) Le total des points opératoires représentant le total du travail chirurgical effectué par le docteur.. depuis.. jusqu'au jour de l'expertise ;
D) Effectuer les opérations demandées en présence du demandeur et en écoutant ses déclarations ;
E) Si besoin est :
a) demander tous renseignements au personnel composant l'équipe chirurgicale qui étaient présents lors des opérations pratiquées par le demandeur ;
b) en questionnant le directeur de la clinique ….ou tout autre responsable ;
Vu que la demande est bien fondée ;
Nous désignons monsieur…. Expert…. En vu de procéder à  la mission ci-dessus décrite ;
Nous lui ordonnons de rédiger un rapport décrivant les opérations et les constats qu'il a effectué dans un délai de 10 jours à  compter de la notification sous peine d'être changé.











LE COMMENTAIRE




La première question qui se pose et qui est une question d'ordre général est la suivante : Le président d'un Tribunal peut-il ordonner une expertise qui est contraire à  l'ordre privé et à  l'ordre public ?.
Je m'explique : les dossiers détenus par la polyclinique (…) concernent les patients de cette clinique. Cette dernière ainsi que tout le personnel qui y exerce sont tenus par l'obligation du secret médical. L'obligation des médecins au secret est générale et absolue. La question du secret professionnel est liée à  la protection de l'intimité de la personne. Et c'est pourquoi le secret médical apparaît dans le serment médical dit serment d'Hippocrate.

Le respect de la vie privée, admis aujourd'hui de par le monde est clairement affirmé par la déclaration universelle des droits de l'homme dans son article 12 qui dispose que « nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée ».

Concernant le droit positif marocain, le code pénal dispose dans son article 446 que : « les médecins, chirurgiens ou officiers de santé, ainsi que les pharmaciens, les sages femmes ou toutes autres personnes dépositaires, par état ou profession ou par fonction permanentes ou temporaires, des secrets qu'on leur confie, qui hors le cas ou la loi les oblige ou les autorise à  se porter dénonciateurs, ont révélé ces secrets, sont punis de l'emprisonnement d'un mois à  six mois et d'une amende de 200 à  1.000 dirhams. »

Le médecin est donc dépositaire du secret du patient. Il en est donc responsable tant sur le plan professionnel que sur le plan pénal vis à  vis du malade et vis à  vis de la société. En effet, pour pouvoir bien soigner, le médecin doit s'introduire dans l'intimité du patient. C'est un droit particulier et dérogatoire du droit commun que de se voir autoriser par le patient –et pas toujours- à  percer son intimité. En effet, pour bien orienter et assurer son diagnostic, le médecin tente d'accéder au plus profond du corps et de l'esprit du patient. De ce fait, il touche à  la vie privée de l'individu en ayant accès d'une manière indiscrète à  son intimité. Hyppocrate recommandait d'ailleurs d'éviter autant que possible d'interroger et d'examiner le patient devant des tiers, proches ou assistants du médecin afin que le respect de la dignité des personnes examinées soit respectée.

Or si la société d'une manière générale et le patient d'une manière particulière autorisent le médecin à  s'introduire dans l'intimité du malade, ils lui interdisent en contrepartie la divulgation de cette intimité. Et c'est cette interdiction qui donne au patient l'assurance de s'ouvrir et de faire des confidences. En réalité il n'y a pas de diagnostic, « pas de soins de qualité sans confidences, pas de confidences sans confiance et pas de confiance sans secret » (Professeur Bernard Hoerni dans le livre « Secrets professionnels » de Marie-Anne Frison-Roche ).

Le secret médical se justifie donc par l'obligation de discrétion et de respect dus au malade par le médecin qui s'immisce dans sa vie privée la plus intime.

A partir de là , l'obligation du secret professionnel s'impose aux médecins comme un devoir de leur état. Elle est générale et absolue et il n'appartient à  personne de les en affranchir affirme la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation française

La Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 13 mars 1996 confirmant l'ordonnance du tribunal de Grande instance du 18 janvier 1996 a argumentée sa décision en affirmant que « Le secret médical, dont la violation peut être sanctionnée tant pénalement que disciplinairement couvre tout ce qui est venu à  la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est à  dire non seulement ce qui lui a été confié mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris. Le secret qui s'impose à  tout médecin trouve son fondement dans la relation de confiance, indispensable à  l'acte médical, qui s'établit entre le médecin et le malade. La mort du malade ne délie pas le médecin du secret auquel il est tenu. ». C'est le secret médical post- mortem.
Je signale à  toutes fins utiles que cet arrêt a été rendu dans l'affaire du livre «Le grand secret » écrit par le docteur Gubler avec le concours de Gonod sur la maladie du Président François Mitterand décédé le 8 janvier 1996 et édité par les éditions Plon.

Madame Mitterand, Mrs Jean Christophe et Gilbert Mitterand ainsi que Melle Pingeot avaient assigné en date du 17 janvier 1996 l'auteur et les sociétés d'éditions Plon en référé devant le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris auquel ils avaient demandé d'interdire, sous astreinte à  ceux-ci, de poursuivre la diffusion du livre et d'en voir prononcer la saisie.

La Cour d'appel ajoute dans son arrêt ce qui suit et qui est d'une importance extrême : « La révélation accomplie, au moyen de la diffusion du livre « Le grand secret » de faits couverts par le secret médical auquel le coauteur de ce livre est tenu revêt un caractère manifestement illicite justifiant que soient ordonnées les mesures destinées à  le faire cesser, y compris l'interdiction de poursuivre la diffusion du livre ».

Par ailleurs, et dans une autre affaire, le Conseil National de l'Ordre des médecins de France est même allé plus loin en déclarant que même les dates d'entrée et de sortie du malade hospitalisé « sont des données couvertes par le secret professionnel ».

Pire est encore le contenu du dossier médical o๠on trouve des radiographies, des résultats d'examens de laboratoire ou d'explorations fonctionnelles, des feuilles de températures, des feuilles de soins et de surveillance. Ce dossier contient des pièces plus confidentielles comme la lettre adressée par le médecin traitant lors de l'admission du patient et les différentes correspondances des médecins de service au médecin traitant, etc.. Ce dossier contient aussi ce que l'on appelle communément et en jargon médical « l'observation » o๠sont relevées non seulement les antécédents du patient et le diagnostic de sa maladie mais toutes les constatations faites durant son séjour et les conclusions qui s'y rapportent.

De ce qui précède, il en résulte que toutes les informations se trouvant dans le dossier du malade doivent être considérées comme des données médicales à  caractère personnel et le médecin qui en est détenteur a une obligation du secret professionnel qui s'impose à  lui, laquelle obligation est générale et absolue et il n'appartient à  personne de l'en affranchir.

Dans le cas d'un hôpital ou d'une clinique, le secret médical s'impose à  tous : médecins, internes, externes, étudiants en médecine, infirmiers, aides soignants, biologistes, secrétaires médicales, kinésithérapeutes, sages femmes, psychologues, diététiciens, assistantes sociales … ayant pu avoir accès au dossier du malade.
Lorsqu'il s'agit d'un hôpital « le service » est tenu au secret professionnel comme le serait une personne unique.

Même l'administration fiscale n'a pas le droit de demander des renseignements sur la nature des prestations fournies aux malades ni les noms de ces derniers.

En temps de guerre et lors d'une perquisition, le médecin chef d'un hôpital avait répliqué à  un officier « je ne vois pas de belligérants…je ne vois que des blessés qui ont besoin d'être soignés ».
C'est dire l'importance et la gravité du secret médical. Hyppocrate disait : « Admis à  l'intérieur des maisons, mes yeux ne verront pas ce qui s'y passe, ma langue taira les secrets qui me seront confiés… ».
La jurisprudence, établie depuis longtemps, considère que le secret concerne toutes les informations confiées mais aussi tout ce qui a pu être vu, entendu, compris, voir interprété lors de l'exercice médical. C'est ainsi que rentre dans le domaine du secret médical « les déclarations du malade, les diagnostics, les thérapeutiques, les dossiers mais aussi les conversations surprises au domicile lors d'une visite, les confidences des familles, etc.. »

Toutes les révélations faites en dehors des cas autorisés par la loi sont passibles de sanctions pénales et disciplinaires. Et c'est ce qui ressort de l'article 446 du Code Pénal qui fait allusion au cas o๠la loi autorise ou oblige à  se porter dénonciateur. Dans certains cas de révélation en effet, l'infraction n'est pas constituée et l'auteur ne peut être tenu pour responsable.

Ces dérogations peuvent être liées au patient lui même, qui a le droit d'être informé sur sa maladie. Le médecin doit à  son patient « une information claire, loyale et intelligible tant sur son état que sur les diagnostics, les thérapeutiques que sur les risques qu'il encourt. ».
Toutefois, dans l'intérêt du malade lui même, le praticien peut juger en son à¢me et conscience de garder secret un diagnostic ou un pronostic grave sauf dans le cas o๠l'affection peut exposer des tiers à  un risque de contamination. Il s'agit là  d'une règle déontologique, d'une règle d'humanisme afin d'éviter au malade la perte de tout espoir. C'est au médecin de juger s'il doit révéler ou non au malade un diagnostic jugé fatal mais dans le premier cas avec beaucoup et même trop de circonspections.

D'autres dérogations sont prévues par la loi telles les déclarations des naissances, les déclarations des décès, les déclarations des maladies contagieuses, les déclarations des maladies sexuellement transmissibles, les déclarations des alcooliques dangereux, les enfants victimes de sévices ou de privations, les viols et attentats à  la pudeurs, les interruptions de grossesses, etc… o๠le médecin est relevé du secret professionnel par la loi.

En dehors de ces cas prévus par la loi, un médecin doit garder le silence sur ce qu'il sait de ses patients, même devant la justice. Le juge ne peut exiger de lui de révéler ce qu'il a appris dans l'exercice de sa profession et encore moins de lui communiquer les dossiers de ces derniers. Le faire, c'est trahir la confiance que les malades ont placés en lui et donc trahir le secret médical sévèrement réprimé tant sur le plan pénal ( article 446 du code pénal )que disciplinaire ( articles 37 et 40 du dahir du 21 mars 1984 relatif à  l'ordre national des médecins ).

Alors que faire devant une ordonnance du Président de Tribunal afin d'expertiser les dossiers d'une clinique ?.

Avant de répondre à  cette question, il me semble qu'il faut d'abord s'arrêter sur la personne qui a formulé la demande. D'après les informations qui m'ont été communiquées par téléphone, il s'agit d'un chirurgien qui a son propre cabinet et qui accomplit des actes dans la clinique depuis 1996 deux fois par semaines en tant que médecin vacataire avec un fixe mensuel de (…)dirhams nets.

Le fait de s'adresser à  la justice afin d'étaler au grand jour les dossiers des malades dont il a eu connaissance constitue à  mon avis une faute disciplinaire grave qui doit être soumise au Conseil Régional des médecins conformément à  l'article 46 du dahir du 21 mars 1984 et 7 aoà»t 1996 qui stipule que « le Conseil régional est saisi par la plainte émanant de toute personne intéressée rapportant une faute professionnelle du médecin justifiant une action disciplinaire à  son encontre en vertu de l'article 37… ».

L'article 37 dispose quant à  lui que « les conseils régionaux et le conseil national, par voie d'appel, exercent à  l'égard des médecins inscrits à  l'ordre le pouvoir disciplinaire ordinal, notamment dans les cas suivants :
-violation des règles professionnelles, manquement aux règles de l'honneur, de la probité et de la dignité des la profession ;
-irrespect des lois et règlements applicables au médecin dans l'exercice de sa profession ;
-atteinte aux règles ou règlements édictés par l'ordre, à  la considération ou au respect dus aux institutions ordinales.

Une plainte ne doit-t-elle pas être déposée au Conseil Régional de l'Ordre des médecins retraçant l'historique de la relation de la clinique avec le mis en cause et spécifiant le contenu de sa requête au Président du Tribunal demandant le dévoilement du contenu de tous les dossiers médicaux depuis le 16 juin 1995. A la plainte sera jointe l'ordonnance d'expertise.
Plus, la clinique peut même aller plus loin et saisir le Procureur du Roi sur la base d'une plainte détaillée accompagnée de l'ordonnance.
A l'expert on peut opposer une fin de non recevoir sur la base de ce qui a été expliqué plus haut mais en insistant à  ce qu'il note sur son rapport les motifs du refus d'ouvrir les dossiers des patients et en spécifiant que l'ordonnance est non seulement contraire à  l'ordre privé du malade mais aussi à  l'ordre public. Une note détaillée doit être préparée pour l'expert et remise à  lui en main propre en insistant sur le fait qu'il la reproduise intégralement. D'ailleurs, l'article 148 du Code de Procédure Civile sur la base duquel la requête diverse a été ordonnée précise bien que les mesures d'urgences ( s'agit-il d'une urgence en fait ?) ne doivent pas préjudicier aux droits des parties et qu'en cas de difficulté, il faut en référer au Président du Tribunal qui a rendu l'ordonnance.

La mission de l'expert telle que définie dans l'ordonnance du Président du Tribunal est grave. En effet ce dernier ordonne à  l'expert de 1°) se déplacer à  la clinique de la mutuelle de l'Education Nationale et d'exiger de l'administration de cette clinique qu'elle lui fournisse 2°) - le registre général de l'équipe chirurgicale dans laquelle le demandeur a travaillé depuis le 16 juin 1995, et – les dossiers des patients que le demandeur a opérés tout en sachant que leurs noms sont enregistrés sur le registre général ; 3°) Après consultation du registre et des dossiers des malades, faire un tri de
toutes les opérations que le demandeur a pratiqué pendant la période déterminée, que son nom soit cité sous la lettre « K » à  côté du docteur Benkirane ou rédigé en entier en spécifiant : - la date de chaque opération, le genre de l'opération en la nommant, - le nombre de points « K opératoires » spéciaux à  chaque opération ; - le total des points opératoires …4°) …….5°)…A cet effet il peut faire appel à  -toute l'équipe chirurgicale et à  toutes personnes ayant assistées à  ces opérations et notamment l'anesthésiste Mohammed…. ;- et de demander des explications au docteur ….ou à  toute autre responsable. »

Tout ceci est contraire à  la loi et la clinique doit préserver et garder le secret médical qui lui est imparti par la déontologie et par le législateur pénal.

Par conséquent, il suffit d'attaquer l'ordonnance aux fins d'expertise car elle est contraire non seulement à  l'ordre privé des malades dont les dossiers sont placés top secret dans la clinique mais aussi à  l'ordre public. Et c'est la Clinique mutualiste qui sera responsable tant sur le plan civil ( en cas de demandes de dommages et intérêts par les malades ) que sur le plan déontologique ( en cas de plainte au Conseil de l'ordre des médecins ) que sur le plan pénal ( article 446 du code pénal ) au cas o๠des révélations seront faites conformément à  ce qui est demandé dans l'ordonnance du Président du Tribunal de Première instance de Casablanca. Et par clinique j'entend non seulement l'organisme de tutelle qui est la mutuelle au nom de son Président directeur Général mais aussi le directeur de la clinique et tout le personnel qui y travaille. Toutes personnes donnant des informations ou font des révélations sur les dossiers des patients seront disciplinairement, civilement et pénalement responsables pour violation du Secret Médical et en assumeront pleinement les conséquences.




Fait à  Rabat le 11 mars 2002