La théorie de la révision pour imprévision en droit administratif

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Des contrats conclus peuvent être de longues durées et peuvent être ainsi perturbées par la survenance d'évènements imprévisibles. Ainsi, le cocontractant peut subir des pertes très lourdes et se retrouver dans une position très délicate pour assurer la bonne exécution du contrat. Si aucune aide ne lui est apporté, la faillite risque d'apparaître. C'est ainsi que la théorie de l'imprévision permet au cocontractant de recevoir de l'administration contractante une indemnisation provisoire lui permettant de pallier les difficultés encourues.



La théorie de l'imprévision est très ancienne. Elle est apparue la première fois par les juges judiciaires et plus précisément par la Cour de cassation dans un célèbre arrêt du 6 mars 1876 à propos de l'affaire Canal de Craponne.



Cet arrêt se base sur l'article 1134 du Code civil. Celui-ci dispose que "Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites"



Les juges suprêmes posent un principe selon lequel "Attendu que la règle que consacre l'article 1134 est générale, absolue, et régit les contrats dont l'exécution s'étend à des époques successives de même qu'à ceux de toute autre nature ; Que, dans aucun cas, il n'appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants ; Qu'en décidant le contraire et en élevant à 30 centimes 1834 à 1874, puis à 60 centimes à partir de 1874, la redevance d'arrosage, fixée à 3 sols par les conventions de 1560 et 1467, sous prétexte que cette redevance n'était plus en rapport avec les frais d'entretien du canal de Craponne, l'arrêt attaqué a formellement violé l'article 1334 du Code civil."



Ainsi, en vertu de cet arrêt, pour les juges judiciaires, le contrat doit rester intangible et doit respecter la volonté des parties. Dans le droit civil des obligations, ce principe bien que controversé continue d'être fondamental.



En revanche, dans le droit administratif la théorie de l'imprévision a permis l'attribution d'indemnisation :



L'arrêt fondateur est rendu par le Conseil d'Etat le 30 mars 1916 dans l'affaire Gaz de Bordeaux :



En l'espèce, on se situe pendant la première guerre mondiale. Le contrat en question concernait la ville de Bordeaux et la compagnie générale d'éclairage de Bordeaux. État donné, l'augmentation du prix du charbon, la compagnie connaît des difficultés imprévues pour assurer la continuité du service public. Ces difficultés n'étaient pas ainsi prévues lors de la conclusion du contrat. Le Conseil d'Etat rappelle "qu'en principe le contrat de concession règle d'une façon définitive jusqu'à son expiration, les obligations respestives du concessionnaire et du concédant." Mais il rajoute que "la fabrication du gaz, s'est trouvée atteindre une proportion telle que non seulement elle a un caractère exceptionnel dans le sens habituellement donné à ce terme, mais qu'elle entraîne dans le coût de la fabrication du gaz une augmentation qui, dans une mesure déjouant tous les calculs, dépasse certainement les limites extrêmes des majorations ayant pu être envisagées par les partiels lors de la passation du contrat de concession.. L'économie du contrat se trouve absolument bouleversée."



Ainsi, en se fondant sur des motifs d'intérêts général et sur la continuité du service public, le Conseil d'Etat impose à la ville de Bordeaux d'attribuer une indemnité à la compagnie en vertu duquel, elle aura à assurer le service pendant la période envisagée.



Le commissaire du gouvernement Chardenet développa après cet arrêt que : "Si l'état d'imprévision empêche les parties de s'en tenir au contrat, le principe de continuité du service public exige lui que le concessionnaire en poursuivre l'exploitation. C'est pour cette raison que l'administration contractante doit contribuer à la poursuite du contrat en allouant une aide financière provisoire à son cocontractant."



La page 560 du traité des contrats administratifs évoque à propos de l'imprévision que "lorsque des circonstances indépendantes de la volonté du cocontractant et imprévisibles lors de la conclusion du contrat administratif viennent en bouleverser l'économie sans pour autant rendre impossible son exécution et entraînant un déficit pour le cocontractant, celui-ci, tout en demeurant strictement tenu de poursuivre l'exécution de ses obligations, a doit à l'aide de l'administration pour surmonter la difficulté survenue en prenant en charge une partie du déficit provoqué par ces circonstances."



Voila la naissance de la théorie de l'imprévision dans les contrats adminstratifs



La théorie de l'imprévision suppose un élément imprévisible mais résistible. Si l'élément est irrésistible alors l'administration contractante pourra résilier le contrat en invoquant la force majeure. C'est ce qu'à jugé le Conseil d'Etat dans un arrêt du 9 décembre 1932 Compagnie des tramways de Cherbourg. Le commissaire du gouvernement Latournerie évoque à propos de la force majeure que c'est un évènement qui ne peut ni se prévoir,ni se conjurer.


La théorie de l'imprévision permet ainsi d'assurer une certaine stabilité du contrat administratif et de préserver la continuité du service public.


De plus, la théorie de l'imprévision fait échec à la force obligatoire du contrat. En effet, en permettant une indemnisation et une variation du contrat, il change de structure par rapport à la volonté initiale des parties. C'est ce que la Cour de cassation essaye de défendre dans le droit des contrats.


Cependant, la théorie de l'imprévision est temporaire. Dès que la difficulté économique est passé, l'indemnisation n'est plus attribuée et le contrat reprend sa forme initiale.


En outre, la théorie de l'imprévision s'est élargie à d'autres domaines que la continuité du service public et ainsi la concession de service public. Aujourd'hui, on se concentre davantage sur la durée du contrat.


Mais la théorie de l'imprévision est considérée comme ayant un impact mineur et ce pour plusieurs raisons :



Comme l'évoque Ludivine Clouzot, "la théorie de l'imprévision est peu à peu apparue comme un instrument désuet." En effet, les parties au contrat prévoient de plus en plus des clauses de variation de prix permettant d'apprécier au maximum l'imprévisible. La théorie de l'imprévision ne pourra donc jouer que si aucune clause n'est prévue en la matière ou bien si ces clauses sont insuffisante. De plus, le bouleversement économique exige un très grand changement économique. Dans de très nombreux cas, l'imprévision ne sera pas justifiée et l'indemnité ne sera pas attribuée.



René Chapus évoquera tout de même que "La théorie de l'imprévision n'est pas pour autant devenue un objet de musée".



On trouve en effet quelques arrêts permettant d'illuster cette théorie :



Un arrêt du Conseil d'Etat Ville d'Avignon du 22 février 1963. En l'espèce, la théorie a été appliquée avec une très large souplesse.


Un autre du Conseil d'Etat Société Propétrol du 5 novembre 1982. En l'espèce, le juge reconnaît un évènement imprévisible justifiant l'application de la théorie de l'imprévision. Mais il ne l'attribua pas puisque le concessionnaire avait cessé d'exécuter le contrat.


Un dernier arrêt du Conseil d'Etat, Commune de Staffelfeden. En l'espèce, le contrat concernait une fourniture d'eau entre une commune et la société. La survenance d'un évènement imprévisible a justifié l'application de la théorie de l'imprévision.


On peut donc évoquer plusieurs conclusions quant à la théorie de l'imprévision en droit administratif :



La théorie de l'imprévision bien que discrète, est nécessaire car elle représente l'efort de sécurisation des conventions.


La théorie de l'imprévison n'a jamais été remise en cause dans son principe et dans sa logique depuis l'arrêt Gaz de Bordeaux. Cela prouve ainsi sa pertinence et son ampleur.


Le commissaire du gouvernement Labetoulle évoque que l'imprévision permet d'assurer la continuité du service public, Ludivine Clouzot évoque qu'elle n'est pas exclusif d'autres préoccupations. Ce qui élargit son domaine de compétence.


On peut évoquer que par la jurisprudence Staffelfeden, le Conseil d'Etat a accepté de verser une indemnité fondé sur la théorie de l'imprévision alors que le contrat a déjà été exécuté et ainsi résilié. Cela ouvre de nouvelles perspectives fondées sur l'équité.




On a donc une ouverture de la théorie qui reste indispensable dans le contrat administratif. Rien que dans les années, elle a du trouvée à s'appliquer en raison de l'explosion des prix de l'acier ..