La sécurité sociale du ressortissant communautaire

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Article publié par Jeeecy.

La sécurité sociale du ressortissant communautaire


-La sécurité sociale : secteur sensible car :
• C'est une administration particulière (i.e. un instrument de redistribution des revenus qui doivent profiter à  ceux qui cotisent et alimentent l'économie nationale)
• Enjeux financiers gigantesques (France : budget social 1,5 x supérieur au budget de l'Etat)

A- Le choix de la coordination des systèmes nationaux de sécurité sociale

1-Les problèmes nés de l'application du principe de territorialité de la sécurité sociale

-Problème car les systèmes de sécurité sociale des EM ont au moins un point commun : la sécurité sociale est régie par le principe de territorialité
i.e. les organes de sécurité sociale ne régissent que les situations qui se déroulent sur le territoire national et ne connaissent pas les situations ou les faits intervenus hors du territoire national

-Conséquences du principe de territorialité :
• les prestations sociales ne sont pas exportables : le bénéfice de la sécurité sociale est réservé aux personnes qui résident sur le territoire national
• seuls les faits qui interviennent sur le territoire national sont pris en compte
ex : une période de cotisation à  l'étranger ne permet pas d'acquérir des points ou droits pour une pension retraite
ex : un accident du travail à  l'étranger n'est pas réparable

-Ce principe de territorialité pose problème dans l'hypothèse d'une migration intracommunautaire :
- risque pour le ressortissant communautaire de perdre la couverture que lui assurait son Etat d'origine, sans être certain d'obtenir celle de l'Etat d'accueil : conflit positif
- risque de se trouver privé de sa pension retraite ou d'avoir une pension inférieure à  celle qui correspond à  sa durée totale réelle d'activité ;
- risque de devoir cotiser deux fois pour un même risque
? Des entraves à  la LCP découlent de cette situation. Dissuasion à  la migration

-Donc, nécessité vite ressentie d'une action communautaire.

2- Le choix minimal de la coordination
- Position du problème pour notre question de LC des travailleurs communautaires : comment faire pour s'assurer que tout migrant sera couvert quel que soit le lieu de son déplacement dans la Communauté ?

? 3 solutions pouvaient être envisagées à  l'origine :
-Communautarisation de la sécurité sociale : créer un système intégralement géré par les institutions communautaires (une sécurité sociale européenne) qui aurait entraîné pour l'essentiel la disparition des systèmes nationaux de sécurité sociale
-Harmonisation des législations nationales
= aurait laissé subsisté les 15 législations et les 15 systèmes de caisse mais on aurait défini au niveau communautaire les grandes lignes de la sécurité sociale (risques couverts, durée des cotisations, montant des prestations…)
-Coordination

> Article 42 TCE : choix de la coordination des législations nationales, i.e. un système de sécurité sociale des travailleurs migrants doit compléter le droit de se déplacer librement dans la Communauté

Donc, on n'a pas communautarisé les systèmes de sécurité sociale :
CJCE 7 février 84 Duphar : Etats restent compétents pour aménager leur régime de sécurité sociale
Et CJCE 30 janvier 1997 De Jaeck : les différences de fond et de procédure entre les régimes de sécurité sociale de chaque Etat membre et, partant, les droits des personnes qui y travaillent, ne sont pas touchés par le droit communautaire

-Le choix fait est le choix minimal de la coordination, i.e. le droit communautaire se contente de fixer des règles qui assurent que les migrants communautaires ne vont pas être privés de leurs droits à  la sécurité sociale du fait de leur circulation dans la Communauté.

-Sur le fondement de l'article 42 (ex 51) plusieurs instruments de droit dérivé ont été adoptés pour organiser cette coordination :
• Règlement du 14 juin 71 (1408/71) relatif à  l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à  l'intérieur de la CE, codifié par Règlement 2001/83 du 3 juin 1983
• Règlement du 21 mars 72 ( 574/72) fixant les modalités d'application du règlement 1408/71
• Règlement 12 mai 81 (1390/81) étend le règlement 1408/71 aux travailleurs non salariés

B- Le contenu de la coordination : les principes posés par les règlements sécurité sociale

1- Détermination de la loi applicable au travailleur migrant

- Question : comment savoir à  quel régime de sécurité sociale doit être rattaché un travailleur migrant ?
? On pouvait décider d'appliquer soit la loi du domicile (résidence), soit la loi de l'Etat de nationalité, soit la loi du lieu du travail. Choix fait ?

? Principe posé par l'article 13-2 Rt 1408/71 : la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d'un Etat membre est soumise à  la législation de cet Etat, même si elle réside sur le territoire d'un autre Etat membre ou si l'entreprise ou l'employeur qui l'occupe a son siège ou son domicile dans un autre Etat membre

-Mais dérogations à  cette règle quand le lieu de travail varie :
Ex : entreprises frontalières
= une entreprise dont les établissements sont traversés par une frontière
Art 14 Rt 1408/71 : tous les travailleurs de l'entreprise relèvent de la loi de l'Etat membre o๠est situé le siège de l'entreprise

Ex : le travailleur détaché
Le travailleur d'une entreprise d'un Etat A est détaché dans un Etat membre B
Loi applicable :
• celle de l'Etat A pendant 12 mois (pouvant être prolongés jusqu'à  12 mois)
• Au delà , celle de l'Etat B


2-Le décloisonnement des régimes nationaux de sécurité sociale
= la coordination repose sur une série de mécanismes d'organisation de la protection sociale du travailleur communautaire :

a- Egalité de traitement

-Art 3 Rt 1408/71 : les ressortissants communautaires affiliés doivent pouvoir bénéficier de l'ensemble des dispositions prévues par la législation d'un Etat membre, dans les mêmes conditions que les nationaux
= égalité pour le bénéfice des prestations et le versement des cotisation, leur montant, etc.

-La CJCE sanctionne toute disposition qui subordonne l'octroi d'une prestation aux ressortissants communautaires à  des conditions plus rigoureuses, en droit comme en fait, que pour les nationaux

b- La « déterritorialisation » des législations nationales

- Art 42, 2ème élément : prévoit le versement des prestations sur l'ensemble du territoire communautaire
-Conséquence : la loi que les règlements désignent comme loi applicable devra
• tenir compte des faits produits sur le territoire d'un autre EM avant qu'elle ne soit applicable
ex : périodes de cotisation accomplies antérieurement sur le territoire d'un autre EM
• tenir compte des faits survenus sur le territoire d'un autre EM pendant qu'elle est applicable
ex : personne soignée sur le territoire d'un autre EM

? Concrètement, pour favoriser la mobilité des travailleurs communautaires, le Rt 1408/71 organise la levée clauses de résidence, i.e. les clauses qui subordonnent l'octroi de prestations à  la résidence sur le territoire de l'Etat

c- Totalisation des périodes d'assurance et proratisation de la charge financière

= principes posés pour répondre à  toutes les hypothèses o๠un travailleur exerce son activité dans plusieurs Etats membres.
Dans de nombreux Etats, le bénéfice de certaines prestations est subordonné à  l'accomplissement de périodes préalables d'emploi, de résidence ou d'assurance
ex : retraite, invalidité, vieillesse, rentes d'accidents du travail, ou de maladie professionnelle

-L'art 42 a prévu la totalisation des périodes d'assurance ou d'emploi effectuées dans les différents Etats membres

-La totalisation va avoir plusieurs fonctions :
- permet de créer un droit aux prestations quand l'application d'une loi isolée n'y suffirait pas (un minimum de 10 ans de cotisations par ex)
- permettre d'augmenter les droits déjà  acquis dans un Etat membre
Donc, on va considérer fictivement que toutes les périodes d'assurance ont été accomplies sous la législation d'un seul Etat. Un EM doit donc appliquer à  une situation localisée dans d'autres EM la même norme que celle qu'il appliquerait à  cette situation si elle était localisée sur son propre territoire.
Ainsi, la totalisation intervient au stade de l'ouverture des droits ;

-Ce mécanisme est complété par le mécanisme de la proratisation
= le travailleur ne va pas recevoir de l'EM compétent une prestation complète, comme s'il avait accompli l'ensemble des périodes dans ce même Etat
Il obtiendra uniquement une partie de la prestation, proportionnelle à  la période effectuée sous l'empire de la législation de l'EM compétent
Proratisation = répartition de la charge des prestations entre les institutions des EM intéressés, en fonction de la durée des périodes accomplies sous les différentes législations
Donc, la proratisation opère au niveau du calcul du montant de la prestation

-Mais on veille à  ne pas pénaliser le migrant.
i.e. les mécanismes de totalisation et proratisation ne jouent que si la législation d'un seul Etat n'ouvre pas, à  elle seule, un droit à  prestation (en raison du nombre insuffisant de périodes accomplies sous cette législation), ou entraîne que le versement d'une prestation inférieures au maximum

C- Le champ d'application de la coordination

1- Les bénéficiaires de la coordination : le champ d'application personnel du Rt 1408/71
Les bénéficiaires sont :
• être REM
• se déplacer (RC)
• être un travailleur : salarié ou non salarié
• les membres de la famille et survivants du travailleurs sont également inclus dans CAP Rt 1408/71 (art 2 Rt 1408)

2- Les domaines couverts par la coordination : le champ d'application matériel du Rt 1408/71
= 9 branches visées par l'art 4 Rt 21 mars 72 :
-prestations familiales
-prestations maladie
-prestations mat
-invalidité
-vieillesse
-survivant
-accidents du travail
-maladie professionnelle
-chômage


D-Le cas particulier de l'assurance maladie

L'assurance maladie est régie par le Rt 1408/71.
Il différencie les prestations maladie en espèce et les prestations maladie en nature :
• prestations maladie en espèce = prestations destinées à  remplacer les revenus (salaires par exemple) perdus pour cause de maladie.
Ces prestations sont en général, dans les Etats membres, toujours servies en application de la loi du pays d'assurance, quel que soit l'Etat de résidence ou séjour. Donc posent peu de problèmes
• prestations maladie en nature = soins médicaux ou dentaires, médicaments, hospitalisation et paiements directes destinés à  rembourser les coà»ts de ces prestations.
Ces prestations sont en général, selon les lois nationales, servies en application de la loi de résidence ou de séjour. Peuvent donc poser problème dans le cas d'une migration communautaire.

- La coordination joue donc à  ce stade avec quelques règles simples reposant sur la différenciation entre le cas d'urgence et le cas de non urgence :
• cas d'urgence : l'individu nécessite immédiatement des prestations au cours d'un séjour sur le territoire d'un Etat membre autre que celui o๠il est assuré
• pas urgence : autres hypothèses

-L'article 22 Rt 1408/71 prévoit un régime différent pour chaque hypothèse :

- En cas d'urgence, le principe est qu'il n'y a pas besoin d'autorisation de la part de la caisse nationale de sécurité sociale.
La personne doit alors être soignée dans l'Etat d'accueil
Mais la question importante : faut-il avancer la somme pour payer les soins reçus ?
• Si l'on possède le certificat (ex E 111) requis, NON, les caisses de sécurité sociale s'organisent entre elles, il n'y a rien à  débourser
• Si l'on ne possède pas le certificat, OUI, puis la personne obtiendra le remboursement par sa caisse de sécurité sociale d'affiliation

-En cas de non urgence, le principe est l'obligation d'obtenir une autorisation préalable de l'institution compétente avant de se rendre dans un autre Etat membre afin d'y recevoir des soins appropriés
Mais l'article 22-2 al. 2 du Rt 1408/71 prévoit que l'autorisation ne peut être refusée quand les soins demandés figurent parmi les prestations prévues par la loi de l'Etat de résidence ET si ces soins ne peuvent, compte tenu de l'état de santé et de l'évolution probable de la maladie, être dispensés dans la limite des délais dans l'Etat d'assurance.
Conséquence de l'autorisation : les frais inhérents étant à  la charge de l'institution qui a octroyé l'autorisation, l'institution de l'Etat d'accueil est tenue de dispenser les soins, même si en vertu de la loi qu'elle applique, elle n'est pas obligée mais a la faculté d'accorder ces soins.

-Le problème actuel vient de la jurisprudence de la CJCE dans deux affaires très remarquées :
1-CJCE 28 avril 1998, Nicolas Decker
2-CJCE 28 avril 1998, Raymond Kohll

1 : Refus de remboursement par la caisse luxembourgeoise d'une paire de lunettes avec des verres correcteurs achetés auprès d'un opticien établi en France
2 : Refus de remboursement par la caisse luxembourgeoise des soins dentaires fournis par un orthodontiste établi en Belgique

Question préjudicielle posée à  la CJCE :
• Ces refus sont ils conformes au droit CE ?
• Faut-il appliquer le principe de la liberté de circulation ou se référer au règlement 1408/71 qui autorise ces refus de remboursement dans la mesure o๠une autorisation préalable n'a pas été sollicitée ni obtenue.

Réponse de la CJCE :
• Les Etats restent compétents pour aménager leur régime de sécurité sociale
• Mais ils doivent dans l'exercice de leur compétence respecter le droit CE. Donc le fait que la réglementation en cause relève de la sécurité sociale n'est pas de nature à  exclure le principe de libre circulation des marchandises ni celui de la libre prestation de services
• La conformité de la réglementation nationale au droit dérivé (article 22 du Rt 1408) ne le fait pas échapper au droit du traité. Car l'article 22 vise seulement à  permettre à  l'assuré, qui a obtenu l'autorisation de son Etat d'origine, de se rendre dans un autre EM pour y bénéficier de prestations en nature
• Mais cette disposition n'empêche nullement le remboursement par les Etats membres de produits médicaux ou de prestations achetées ou servies dans d'autres Etats
• La nécessité d'obtenir une autorisation préalable : est une entrave à  la LCM et LPS
• Peut elle être justifiée ?
L'enjeu est celui de l'équilibre financier du régime luxembourgeois de sécurité sociale. Ce peut être considéré comme « raison impérieuse d'intérêt général ».
Mais ici l'incidence financière très réduite car l'assuré aurait demandé le remboursement si les soins ou l'achat étaient intervenus sur le territoire national.

>> Cet arrêt inaugure une jurisprudence par laquelle la Cour de Justice pose la question de la licéité des refus de remboursement fondés sur le règlement 1408/71 et, ce faisant, incite le Conseil à  intervenir pour modifier le règlement dans le sens de la reconnaissance d'un droit de choisir l'Etat de soins.