L3S2 Droit Perpignan – Droit des successions et libéralités

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L3S2 Droit Perpignan – Droit des successions et des libéralités.

Cas pratique :

Prosper vient, en concours avec ses 2 frères et sa mère à la succession de son père, décédé depuis 4 mois. Le montant des biens du de cujus est de 2.000.00 €.
Il m’indique que son père lui avait, en plus, donné en avance sur sa part successorale, une maison, estimée à l’époque à 300.000 €, qu’il loue depuis lors, pour 5.000 € de loyer mensuel. Il a fait pour 80.000 € de travaux lui ayant permis d’y créer un gîte, qu’il n’a pas encore ouvert. La valeur de la maison a été augmentée de 200.000 € dont 50.000 € en raison de la flambée des prix, le reste en raison des aménagements qu’il a réalisés.
Il m’indique également que sa mère, mariée au de cujus, a opté pour le ¼ de la succession en pleine propriété.

Prosper me demande conseil. Doit-il ou non accepter la succession ? Doit-il rapporter la maison à la succession ? Doit-il rapporter en nature ou en valeur ? Dispose-t-il d’un délai de renonciation lui permettant d’éviter le rapport ?

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Aux termes de l’article 721 du Code civil, « les successions sont dévolues par la loi lorsque le défunt n’a pas disposé de ses biens par des libéralités ». Cet article illustre parfaitement la volonté du législateur d’opérer à un rééquilibrage de la dévolution successorale des patrimoines entre libéralités, symboles de la volonté du de cujus, et dévolution légale, garantie de sécurité juridique pour la famille (les « parents ») du défunt.

Donations entre vifs, directes ou indirectes, dispositions testamentaires, avancement d’hoirie… autant de mécanismes juridique du droit des successions qui, certes, complexifient la matière, mais permettent un ajustement précis à la volonté du défunt et les garanties de ses survivants, et notamment du conjoint successible, qui voit ses prérogatives renforcées depuis la loi du 3 décembre 2001.

Prosper, confronté à la succession de son père, est inquiet pour la maison que ce dernier lui a léguée, et qui lui rapporte des revenus confortables.
Afin de le conseiller (IV), il sera nécessaire de déterminer les héritiers successibles du de cujus (I), puis de déterminer avec précision le montant et la structure de la succession (II), avant de déterminer les différentes options de partage de celle-ci (III).

I / DETERMINATION DES HERITIERS SUCCESSIBLES :

Selon l’article 731 du Code civil, « la succession est dévolue par la loi aux parents et au conjoint successible du défunt » ; le terme « parents » devant se comprendre comme « membres de la famille ».
Le Code civil distingue selon la présence ou non d’un conjoint successible pour établir l’ordre des successions. En présence d’un conjoint successible, ce qui est le cas, les articles 756 et suivants du Code civil sont applicables : « le conjoint successible est appelé à la succession, soit seul, soit en concours avec les parents du défunt ». Selon l’article 757, « si l’époux prédécédé laisse des enfants ou descendants, le conjoint survivant recueille, à son choix, l’usufruit de la totalité des biens ou la propriété du quart lorsque tous les enfants sont issus des deux époux, et la propriété du quart en présence d’un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux ».
Prosper nous a informé que sa mère, épouse successible, avait opté pour la propriété du ¼.
Les 3 frères se partageront, à égalité, les ¾ restant, soit ¼ chacun.

II / DETERMINATION DE LA MASSE SUCCESSORALE :

Selon Prosper, la masse successorale se compose, d’une part, de biens pour une valeur de 2.000.000 €.

Le problème se pose, d’autre part, quant à la maison que son père lui avait donnée par donation sur avance d’hoirie : cette maison doit-elle être fictivement « rapportée à la succession », c'est-à-dire doit elle être comptabilisée dans la masse des biens du de cujus qui seront partagés entre la mère et ses 3 enfants ? Et quelle est la solution concernant les travaux qu’il a réalisés ? Et le montant des loyers des 4 mois passés depuis l’ouverture de la succession ?

L’article 843 du Code civil dispose que « tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.
Les legs faits à un héritier sont réputés fait par préciput et hors part, à moins que le testateur n’ait exprimé la volonté contraire, auquel cas, le légataire ne peut réclamer son legs qu’en moins-prenant ». Cet article expose un présomption de rapport des donations et d’une présomption de dispense de rapport des legs, tout celà sous condition de clause contraire par la volonté du de cujus. Dans notre cas, la maison a été offerte à Prosper en avance successorale : cette condition témoigne de la volonté du défunt de gratifier par avance l’un de ses fils, mais ne témoigne pas d’une quelconque volonté de déséquilibrer la succession au profit de ce dernier ; la maison doit donc être comptabilisée dans la masse successorale.

Le Code distingue aux articles 858 et suivants selon deux modalités de rapport : la modalité « par défaut » dite « en moins prenant » ou en valeur (A) et la modalité en nature (B)

A ) le rapport en moins prenant de la maison :

Quelle valeur de la maison doit être retenue pour ce rapport ? En particulier, quel est l’influence des travaux effectués par Prosper et des loyers qu’il a recueillis depuis 4 mois ?

1) la valeur de la maison :
L’article 860 du Code civil stipule que « le rapport est dû de la valeur du bien donné à l’époque du partage, d’après son état à l’époque de la succession ». Soit 300.000 €.

2 ) concernant les travaux :
Il résulte d’une jurisprudence constante de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation qu’en cas de changement dans la destination du bien depuis la date de la donation, il ne peut être tenu compte de ce changement que s’il résulte d’une cause fortuite ou de la force majeure ou étrangère à l’industrie du gratifié (31 octobre 1989, pourvoi n°87-17948 concernant l’évaluation d’une terre cultivée, 12 juillet 2001, n°99-18298 concernant le déperissement d’un fonds de commerce lié à la concurrence des grandes surfaces, 6 mai 1997, n°95-12480 concernant le classement en zone constructible d’un terrain donné). Par conséquent, l’augmentation de la valeur de la maison doit être estimée pour le rapport à la succession à hauteur des 50.000 € liés à la seule flamblée des prix.

3) S’agissant des loyers :
L’article 856 du Code civil stipule que « les fruits des choses sujettes à rapport sont dus à compter du jour de l’ouverture de la succession… ». Cette dernière s’ouvrant, selon les dispositions de l’article 720 du Code civil « par la mort », elle est ouverte depuis 4 mois. Prosper devra par conséquent rapporter les loyers à la succession pour un montant de 20.000 €.

La valeur de la maison que Prosper devra fictivement rapporter à la succession aux fins d’égalité est donc de : 370.000 €

La masse successorale est donc de 2.370.000 €.

B ) le rapport en nature de la maison :

L’article 859 prévoit que le rapport en nature est possible « à condition que ce bien soit libre de toute charge ou occupation dont il n’aurait pas déjà été grevé à l’époque de la donation ». En l’occurrence, Prosper a installé des locataires dans la maison, puisqu’il recueille un loyer mensuel. Afin de pouvoir faire le rapport en nature, il lui faudrait préalablement résilier le ou les contrats de bail.

Dans ce cas, l’article 861 du Code civil dispose que si « l’état des objets donnés a été amélioré par le fait du donataire, il doit lui en être tenu compte, eu égard à ce dont leur valeur se trouve augmentée au temps du partage et de l’aliénation.
Il doit pareillement être tenu compte au donataire des impenses nécessaires qu’il a faites pour la conservation du bien, encore qu’elles ne l’aient point amélioré ».
Prosper pourra donc remettre physiquement la maison dans la succession, pour une valeur de 500.000 € (300.000 € de base auxquels s’ajoutent les 200.000 € de plus-value liée à ses travaux et à la conjoncture) et les 20.000 € de loyers des 4 mois, mais sera bénéficiaire d’une récompense de 80.000 € sur la succession.

La masse successorale est dans ce cas de 2.470.000 € (il faut compter les loyers des 4 mois).

III / PARTAGE DE LA SUCCESSION :

1 ) Si Prosper ne renonce pas à la succession :
Dans ce cas, il rapportera à la succession la valeur de la maison et partagera à égalité entre sa mère et ses 2 autres frères la somme totale :
- en cas de partage en valeur : 2.370.000 € / 4 = 592.500 € pour les cohériters et Prosper garde la maison + la différence en pécuniaire, soit 222.500 € pour Prosper.
-> dans ce cas, il obtient de la succession 222.500 € en pécuniaire, conserve une maison d’une valeur de 500.000 € et des revenus mensuels confortables.
(en effet, la valeur du rapport étant inférieure à la valeur de ses droits dans la succession, il détiendra sur cette dernière droit à récompense pour la différence, soit 225.500 € qui lui seront versés par la succession).
- en cas de partage en nature : 2.470.000 € /4 = 617.500 € pour les cohéritiers auxquels s’ajoute récompense de 80.000 € soit 697.500 € pour Prosper, mais il n’a plus la propriété de la maison.
-> dans ce cas, il obtient de la succession 690.000 € en pécuniaire, mais perd la maison et ses revenus et doit payer les frais de résiliation des baux.

2) Si Prosper renonce à la succession :
L’article 845 du Code civil prévoit la possibilité pour l’héritier qui renonce de « retenir le don entre vifs ou réclamer le legs fait jusqu’à concurrence de la portion disponible », « à moins que le disposant ait expressément exigé le rapport en cas de renonciation », ce qui n’est pas le cas. Il faut noter que dans ce cas, le rapport se fait obligatoirement en valeur (art. 845 al.2). Au terme de l’article 785 du Code civil, en renonçant, Prosper « est censé ne jamais avoir été héritier ».
Il convient de déterminer la portion disponible au-delà de laquelle le legs consenti à Prosper doit être rapportée à la succession.
Aux termes de l’alinea 2 de l’article 912 du Code civil, « la quotité disponible est la part des biens et droits successoraux qui n’est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités » ; cet article symbolise la volonté du législateur d’assouplir les dispositions légales garantissant la sécurité juridiques de la dévolution successorale aux parents du défunt, en vertu d’une permanence post mortem de sa volonté.
L’article 913 détermine la montant de la quotité disponible en fonction du nombre d’enfants : « les libéralités, soit pas actes entre vifs, soit par testament, ne pourront excéder la moitié des biens du disposant s’il ne laisse à son décès qu’un seul enfant ; le tiers s’il laisse deux enfants ; le quart s’il en laisse un plus grand nombre ». Une difficulté se pose toutefois pour le calcul du nombre d’enfants : Prosper, renonçant, doit-il être comptabilisé ? L’alinea 2 de l’article 913 dispose que « l’enfant qui renonce à la succession n’est compris dans le nombre d’enfants laissé par le défunt que s’il est représenté ou s’il est tenu au rapport d’une libéralité en application des dispositions de l’article 845 ». Prosper n’est par conséquent pas compte dans le nombre d’enfants du de cujus pour le calcul de la quotité disponible : il y a 2 enfants, soit une quotité disponible d’1/3 soit 790.000 €.
La valeur de la maison et des fruits (rappel : 520.000 €) ne dépassant pas la quotité disponible, Prosper peut la conserver en nature, sans avoir à rien rapporter à la succession. En revanche, ayant perdu la qualité d’héritier par la renonciation en vertu de l’article 785 du Code civil, il ne viendra pas à la succession, et sa mère et ses deux autres frères se partageront alors le reste de la succession, soit 2.000.000 € comme suivant : ¼ ou 500.000 € pour la mère en vertu de son option pour le ¼ en propriété (option irrévocable), le reste à égalité entre les deux frères qui obtiendront chacun 750.000 €.
o dans ce cas, il conserve une maison d’une valeur de 520.000 € et des revenus mensuels confortables.

IV / MES CONSEILS :

Je ne peux évidemment pas conseiller à Prosper de renoncer à la succession car il est perdant de 222.500 € par rapport à l’acceptation avec rapport en valeur.

Il est plus judicieux de conserver la maison dans son patrimoine et bénéficier de revenus confortables, quitte à la vendre à sa valeur réelle (500.000 €) qui viendront s’ajouter aux 222.500 € obtenus de la succession.