Entrées en matière

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Article de David Melison.

{{Comment rédiger au mieux son entrée en matière?

L'art de l'entrée en matière}}


Introduire une réflexion, un devoir ou un commentaire, nécessite de confronter rapidement le lecteur au sujet à  traiter. Cette immersion dans le coeur du domaine est traditionnellement opérée grà¢ce à  une entrée en matière.

L'entrée en matière est probablement l'un des passages les plus délicats à  rédiger. Il existe plusieurs manières d'appréhender l'élément, qui dépendent en grande partie du sujet proposé. Si la méthode s'acquiert à  l'expérience, il est cependant possible de dresser une typologie des entrées en matière et de donner quelques conseils pour mettre dans de bonnes dispositions les correcteurs ! Des exemples tirés de revues juridiques illustreront les formes proposées.

La classification retenue est purement indicative et n'exclut pas les combinaisons. Chacun possède sa manière d'évaluer les entrées en matière et ce document a pour seule prétention d'offrir aux étudiants les moyens de choisir leur façon de développer un style personnel.


{{Forme générale des entrées en matière}}

L'entrée en matière est facultative dans une introduction de cas pratique mais indispensable dans une dissertation, un commentaire ou encore un discours. Toutefois, il vaut mieux attaquer directement le sujet que de faire une mauvaise entrée en matière.

Elle doit être relativement brève. L'entrée en matière d'un commentaire est, en principe, plus courte que celle d'une dissertation (une phrase ou deux contre quelques lignes).

Enfin, l'entrée en matière s'opère systématiquement par replacement du sujet dans son contexte. Très souvent, une décision ou un texte juridique ont une valeur singulière en raison des événements qui la/le précèdent. Le contexte peut être pris au sens large (aussi bien historique que juridique ou d'actualité) comme au sens étroit (texte qui précède ou qui suit le texte à  commenter, place de la notion étudiée dans le cours...).

{{A éviter}}
L'entrée en matière ne doit jamais déflorer le sujet, mais l'amener délicatement. Il convient d'éviter une discussion longue préalable à  l'analyse.
L'entrée en matière ne doit pas non plus être vague et sembler interchangeable. Ex : pour un arrêt sur la prestation compensatoire, « le divorce est une épreuve douloureuse pour les couples... ». C'est vrai mais le rapport avec le sujet est bien lointain !


{{Entrée en matière en entonnoir}}

La conception classique consiste à  reprendre l'image de l'entonnoir. La voie d'abord est large pour se centrer progressivement sur la question précise. On entend pas « voie d'abord large » le fait d'évoquer la notion immédiatement supérieure, dans la hiérarchie du cours, à  celle visée par le sujet. Cette technique doit être employée pour les sujets pointus.

Inconvénients
La technique n'est pas appropriée aux sujets généraux ou de synthèse.
Elle est aussi difficilement exploitable aux sujets transversaux ou comparatifs. Pour ces derniers, il est préférable de trouver un point commun, servant de point de départ à  l'introduction.
Le risque est grand de partir sur un sujet trop général. Il est primordial de savoir correctement évaluer le degré d'élargissement à  atteindre.


Exemple
A propos d'un arrêt sur la révision des prestations compensatoires fixées par consentement mutuel (convention homologuée).
« La convention faisant la loi des parties, ici comme ailleurs, devrait répondre aux questions d'application de la révision prévue. Mais la convention de divorce, comme d'autres, n'est pas toujours très claire ou n'a pas pu tout prévoir. La Cour d'appel de Paris le 8 avril 1999 avait à  juger d'un cas sans doute inédit... » Jean HAUSER, RTD civ. 1999, p. 824 Ici, le sujet est abordé par une voie oblique, le droit général des contrats, qui se combine efficacement avec le droit de la famille.


{{A éviter}}
Entrée en matière excessivement large. A propos d'une dissertation sur le caractère évolutif du droit de la famille (semestre de droit de la famille) :
« Le domaine du droit concerné est le droit civil, et plus précisément le droit de la famille. »


{{Entrée en matière anecdotique}}

L'emploi d'une anecdote, à  l'inverse du premier type d'entrée en matière, peut s'avérer pratique face à  un sujet général. L'entrée en matière anecdotique fait référence à  l'actualité juridique ou à  l'histoire.

Exemples
« Dans les années 1980, une controverse fit florès entre le Tribunal de Paris et la Cour de Paris qui provoqua une chronique demeurée célèbre de Raynaud. Il s'agissait déjà , plus de vingt ans avant le PACS, de savoir si le droit devait se prêter à  des adoptions sur fond de relations homosexuelles dans un but général de type fiscal. (...) C'est dans cette ligne que se situe l'arrêt de la Cour de cassation du 8 juin 1999... » J. HAUSER, RTD civ. 1999, p. 611
A propos d'une dissertation sur « le statut actuel des concubins », il est concevable de commencer par une phrase de ce genre :
« Fidèle à  la pensée exprimée par l'instigateur du Code civil, le législateur a longtemps méprisé les couples vivant en union libre. Pourtant, l'augmentation du nombre des concubins a conduit les représentants de la nation à  jeter les premières fondations d'un statut applicable aux concubins... »
L'anecdote napoléonienne est ici mêlée à  l'histoire du concubinage, qu'il est inutile d'envisager dans le développement en raison des termes du sujet (statut actuel).


{{A éviter}}
Les anecdotes personnelles sont à  proscrire.


{{Entrée en matière historique}}

Autant montrer d'emblée la maîtrise de l'évolution historique du droit. Cela laissera supposer au correcteur que le cours est dominé.

Exemples
« Cette fin de XXe siècle pourrait laisser croire que le temps n'a pas d'influence sur le droit du travail. Les premières lois sociales se fixaient comme objectif la réduction du temps de travail, la loi (...) Aubry affiche la même ambition. La comparaison s'arrête là ... » B. BOSSU, « La réduction du temps de travail à  35 heures : mythes et réalités », D. 2000, chron. p. 43


{{A éviter}}
Il ne faut pas rappeler l'histoire du droit à  partir de l'empire romain ! Quelques décennies suffisent.
Il n'est peut-être pas nécessaire de sortir perruque, collants et trompettes lorsque l'Histoire sert d'entrée en matière. L'association d'un style pompier à  l'exposé historique relève du cliché détestable.
Méfiance à  l'égard des généralités trompeuses ou fausses. Les erreurs historiques et anachronismes sont impardonnables. Ex : « le divorce, créé en 1975... » ou encore « Pour la première fois dans l'Histoire de l'Humanité (rien que ça !), le concubinage est pris en compte par le droit ».


{{Entrée en matière par l'actualité juridique}}

Le commentateur serait bien malvenu de ne pas connaître d'éléments relatifs à  l'actualité juridique. Plus un étudiant avance dans ses études et plus il est confronté à  des décisions sur des sujets contemporains. Quel enseignant laisserait passer ses étudiants à  côté d'une nouvelle loi ou d'un revirement de jurisprudence dans son domaine ? La réponse à  ce type de sujet exige de dévoiler avec fierté au correcteur une parfaite adaptation au changement.

Exemple
« Quelques affaires récentes, médiatisées ou obscures, entretiennent et renouvellent le débat sur les fondements du lien de filiation, sa cause et ses preuves, questions à  nouveau soumises à  l'étude d'une réforme législative. » F. BELLIVIER, L. BRUNET, C. LABRUSSE- RIOU, « La filiation, la génétique et le juge : o๠est passée la loi ? », RTD civ. 1999, p. 529


Parfois encore, c'est l'absence d'actualité et le caractère insolite d'une décision qui seront relevés.

Exemples
« On ne dispose que de peu de décisions sur la réconciliation de l'article 244 du Code civil qui constitue une fin de non-recevoir dans le divorce pour faute. Il est admis en général que la réconciliation comporte un élément matériel, la reprise d'une vie commune, mais qu'il ne saurait suffire et qu'il faut en plus une véritable dimension affective. L'arrêt de la Cour de Dijon du 17 mars 1998 confirme cette analyse... » J. HAUSER, RTD civ. 1999, p. 822
« La curieuse situation de parents qui dépendent de leurs enfants mineurs n'est pas si rare qu'on pourrait le penser... » Le conflit d'intérêts est alors arbitré par les magistrats au regard des ressources et besoins de chacune des parties... (Partie entre guillemets, J. HAUSER, RTD civ. 1999, p. 814)
« L'abrogation de la loi de Germinal en 1993 a conduit à  donner entière liberté aux parents dans le choix des prénoms, le seul obstacle résidant dans un possible signalement de l'officier d'état civil au parquet si l'intérêt de l'enfant ou d'un tiers était apparemment mis en cause. (...) Cette dernière possibilité n'est que prudemment utilisée (...). Il est d'autant plus intéressant de signaler l'arrêt de la Cour d'appel de Caen... » J. HAUSER, RTD civ. 1999, p. 813
« Les longues discussions sur le principe même d'un changement d'état civil pour cause de transsexualisme ont un peu occulté la question de la preuve qui est pourtant essentielle. (...) La Cour d'appel... » J. HAUSER, RTD civ. 1999, p. 811


{{Cas particulier du commentaire de disposition législative}}

La principale lacune des étudiants confrontés à  un commentaire de texte réside certainement dans l'absence de distance par rapport à  celui-ci. Un commentaire d'article de loi (au sens large) ne peut être correctement effectué sans avoir au préalable expliqué la place de la disposition dans la loi, le Code, ou le décret étudié. L'analyse spatiale doit être associée à  une présentation historique (date de création du texte, évolution du sens...). Aborder ce genre de question dès l'entrée en matière démontre une capacité à  prendre de la hauteur, donc à  comprendre le sujet.

Exemple
Commentaire de l'article 544 du Code civil
« La propriété individuelle constitue le socle du Code civil et de la société bourgeoise au XIXe siècle. Si la propriété fait l'objet d'un titre particulier, en réalité deux livres entiers du Code lui sont consacrés. La conception de la propriété, dont la définition légale est gravée à  l'article 544, a sensiblement évolué depuis 1804, malgré une disposition inchangée et apparemment inaltérable... »


{{Entrée en matière ironique ou humoristique}}

Chez les anglo-saxons, l'entrée en matière prend souvent la forme d'une petite phrase humoristique. Les français sont plus traditionnels. La technique, périlleuse et donc rare, consiste notamment à  interpeller le lecteur en créant une distance ironique ou un effet de théà¢tralisation. Il est même parfois possible d'écarter la neutralité au profit d'une opinion sur le sujet dès l'entrée en matière.

Inconvénients
Technique peu appréciée de certains correcteurs.
Exige d'excellentes connaissances et un style impeccable.


Exemple
« Il arrive que le juriste éprouve, de rares fois dans sa vie, une "divine surprise". Dans la masse de décisions qui encombrent son bureau, il met la main sur un jugement, le lit, le relit, écarquille les yeux, se pince et se dit : "Je rêve ! C'est trop beau pour être vrai !". Je me suis pincé, j'ai écarquillé les yeux, je me suis dit : "Je rêve !" ; car cette décision existe, elle a été rendue par le Tribunal de grande instance de Tarascon (...) et ce n'est pas une "lettre de mon moulin"... » B. EDELMAN, « De l'urinoir comme un des beaux-arts : de la signature de Duchamp au geste de Pinoncely », D. 2000, chron. p. 98


{{A éviter}}
Employer cette technique pour pallier une carence de connaissance. L'esprit n'est pas la qualité la mieux partagée. Il masque difficilement le manque de travail et un correcteur pardonne rarement lorsqu'il éprouve une déception.
Tomber dans l'humour stupide ou graveleux.